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Apprendre à gérer une forêt : comparer l’utilisation d’un simulateur de forêt à d’autres ressources pédagogiques pour développer les compétences de diagnostic sylvicole

Thibault CHIRON

Niveaux

Formation technique agricole et forêt-bois, Brevet professionnel, Bac professionnel, Brevet Technicien Supérieur

Public

Enseignant·e·s et formateur·trice·s de sylviculture, aménagement forestier, écologie forestière, sciences de la vie et de la terre

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Action/Projet associé(e)

Ressource(s) associée(s)

À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Notre travail s’intègre dans le projet Silva Numerica dont l’objectif est de concevoir un outil numérique (un Environnement Virtuel Éducatif) permettant d’enrichir la palette d’outils pédagogiques visant à apprendre les savoirs liés à l’écosystème forestier et à la gestion d’une forêt. Si cet outil est à destination de différents publics (des collégiens, des lycéens de filière générale et technique), cette recherche aborde de manière plus précise la question de la formation professionnelle de la filière forêt-bois du point de vue des apprentissages techniques. Nous nous intéressons à l’apprentissage d’une activité professionnelle reconnue comme emblématique du métier de forestier, le diagnostic sylvicole. Ce type de diagnostic constitue une démarche d’analyse d’un peuplement forestier pour déterminer son état, son potentiel et ses limites en lien avec la station forestière sur laquelle poussent les arbres et dont le but final est de fixer des objectifs d’exploitations tout en décidant des différentes interventions sylvicoles pour les atteindre.

Trois questions principales sont posées ici : (1) quelle est la nature et l’organisation conceptuelle de l’activité de diagnostic sylvicole de différents niveaux de formations (des BP Responsable de chantiers forestiers, des Bac Pro Forêt et des BTS Gestion Forestière), (2) qu’est-ce que suscite l’utilisation de différentes ressources habituellement employées en formation pour conduire et apprendre à conduire des diagnostics complexes, tels qu’un déplacement sur le terrain, en forêt, l’utilisation de photos et de vidéos d’un peuplement forestier, et (3) en quoi l’utilisation d’un premier prototype de l’outil numérique Silva Numerica peut contribuer et se combiner aux ressources pédagogiques existantes en vue d’améliorer l’apprentissage des raisonnements complexes permettant d’aboutir à des diagnostics sylvicoles cohérents et pertinents, prenant à la fois en compte les dimensions économique, écologique et sociale de la forêt dans un perspective de gestion durable.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Si le diagnostic est une activité partagée par de nombreux professionnels issus de différents secteurs (médecine, informatique, mécanique, etc.), le diagnostic sylvicole a pour spécificité de porter sur un milieu naturel, la forêt. Le forestier ou futur forestier doit intervenir sur des écosystèmes formés d’êtres vivants (des arbres, des plantes, des animaux, des champignons, etc.), dépendants des processus, des ressources et des milieux sur lesquels ils vivent. Poser un diagnostic sur un tel environnement demande aux professionnels de se rendre sur le terrain pour apprécier, in situ, l’état de l’écosystème et plus précisément, l’état des arbres cultivés (le peuplement) et du milieu (la station) à partir de nombreuses observations, de lectures de documents de gestion, de mesures et d’estimations réalisées à l’aide d’outils et de calculs (voir Figure 1). Le forestier doit donc travailler dans un milieu complexe, composé de nombreuses variables à prendre en compte pour agir de manière efficiente tout en poursuivant des buts qui demandent d’allier à la fois l’aspect économique (la production de bois), écologique et social en partie pour répondre à des prescriptions et des attentes de plus en plus fortes orientées sur la prise en compte de la multifonctionnalité des forêts et de résilience des peuplements face au changement climatique. Les analyses du travail menées dans une perspective de didactique professionnelle (Pastré et al., 2006) montrent que les professionnels « experts » soucieux de proposer des décisions d’interventions respectant la multifonctionnalité des espaces forestiers procèdent à des descriptions qualitatives et quantitatives qui articulent des variables issues du peuplement, de la station et de la lumière (Chrétien, 2021 ; Guidoni-Stoltz, 2020).

Photos illustrant les activités menées en forêt par les élèves. Description détaillée ci-dessous.
Figure 1 – Illustration de quelques opérations réalisées en forêt pour élaborer un diagnostic sylvicole pertinent en associant les variables du peuplement et de la station. ©Chiron, 2023

L’écosystème forestier forme aussi un environnement qualifié de dynamique (Hoc, 1996), vivant (Mayen et Lainé, 2014) et à longs délais de réponses (Samurçay et Rogalski, 1992) ce qui signifie que la forêt évolue et continue d’évoluer même sans l’intervention d’un forestier, et qu’il faut par ailleurs attendre un certain nombre d’années pour voir les résultats d’évolutions des interventions en forêt (par exemple, le cycle pour gérer de bout en bout un peuplement de chênes sessiles peut durer au moins 160 ans). En conséquence, gérer et apprendre à gérer un environnement forestier demande d’élaborer des diagnostics exigeants sur le plan cognitif. Il demande, pour les futurs forestiers, de raisonner l’interaction des différentes composantes et processus inhérents à l’écologie forestière (comme la photosynthèse , la décomposition des sols, la concurrence d’accès aux ressources et leurs impacts sur la croissance des arbres), d’anticiper le devenir des processus et les résultats d’actions sur l’ensemble des composantes de l’écosystème, d’estimer l’adaptation des essences à la station, de composer avec l’incertitude des résultats et l’incertitude liée à des imprévus climatiques (sécheresse, incendie, tempête, etc.). La complexité de l’environnement forestier peut donc apparaître comme un obstacle à l’apprentissage du diagnostic. Il est important pour les apprenants de développer des capacités à percevoir et déchiffrer les informations pertinentes de l’environnement pour prendre des décisions d’interventions adaptées (les types d’interventions à réaliser, leurs planifications dans le temps et leurs intensités) qui puissent répondre aux enjeux de prises en compte de la multifonctionnalité de la forêt. De plus, s’il n’est pas possible pour les apprenants de vérifier les résultats des interventions sylvicoles dans le temps, il n’est pas non plus possible de revenir en arrière pour annuler ou modifier les décisions de coupes réalisées suite au diagnostic.

Lorsque la situation de travail et d’apprentissage est complexe et difficile d’accès, les simulateurs peuvent constituer des réponses pédagogiques (notamment combinés à la réalité virtuelle pour former dans notre cas un Environnement Virtuel Éducatif) pour présenter des concepts abstraits, agir sur des variables difficilement manipulables, mettre en scène des phénomènes temporellement inobservables car trop rapides ou trop lents voire de recommencer une action (Pastré et al., 2005). Dans le cas des apprentissages professionnels, de tels dispositifs suggèrent des effets « plutôt positifs » dans différents secteurs comme le pilotage (aviation, navigation), la gestion de procédures (de centrale nucléaire, de feu de forêts) ou la santé (Tricot, 2020). Néanmoins, les résultats de recherches précisent que de tels dispositifs ne sont pas des outils « miracles », l’efficacité des simulateurs dépendant en partie de la nature du scénario pédagogique proposé (activité de résolution de problème, conduite d’un débriefing) et d’un équilibre entre le degré de réalisme entre la situation simulée et la situation réelle. Selon ces mêmes recherches, les plus-values des simulateurs s’apprécient à partir d’analyses fines, menées au cas par cas, en fonction du simulateur conçu pour répondre à des apprentissages ciblés selon le secteur professionnel donné.

Pour conclure, la simulation semble donner des résultats prometteurs notamment dans certains secteurs de formations (par exemple : pilotage ou métiers de la santé). Cependant, l’étude de tels dispositifs n’a pas encore été menée dans les métiers liés à la gestion des forêts et à la sylviculture notamment en vue de former à des compétences critiques comme le diagnostic sylvicole. Dans ce travail de recherche, étudier le diagnostic sylvicole chez des apprenants est une première étape indispensable pour comprendre comment des apprenants en formation conduisent de tels diagnostics, repérer les variables prises en compte (ou non) dans l’environnement, repérer les potentielles difficultés et analyser les différences de conduites du diagnostic sylvicole selon différents niveaux de formation sur le terrain, c’est-à-dire en forêt. Cette analyse est une base préalable pour étudier ensuite la conduite de l’activité menée à partir de l’utilisation d’un premier prototype de l’outil numérique Silva Numerica et pour comparer l’activité de diagnostic menée sur le terrain ou réalisée à partir d’une autre ressource « intermédiaire » via l’utilisation de photos et de vidéos d’un peuplement forestier. Si le premier prototype de Silva Numerica simule un environnement forestier (une futaie régulière de chênes sessiles) et son évolution dans le temps après des interventions sylvicoles sur le peuplement forestier, ce travail consiste aussi à tester et à améliorer l’utilisation du premier prototype tout en proposant des pistes pour la conception de scénarios pédagogiques à destination d’enseignants-formateurs combinant les trois ressources étudiées.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Afin de répondre à nos objectifs, nous avons mené une analyse de l’activité conduite dans une perspective de didactique professionnelle (Pastré et al., 2006) auprès de 14 apprenants volontaires, tous issus de la formation technique de la filière forêt bois : 3 BP Responsable de Chantiers Forestiers (RCF), 6 Bac Pro Forêt et 5 BTS Gestion Forestière (GF).

En vue d’analyser la qualité des diagnostics sylvicoles, nous avons construit une mise en situation (basée sur l’épreuve évaluative E7-2 du BTS GF)1. Les participants étaient invités à mener un diagnostic sylvicole concret à partir de trois ressources distinctes (lors de 3 entretiens différents) : un déplacement en forêt, l’utilisation du premier prototype de Silva Numerica (voir Figure 2 pour une illustration du logiciel), l’utilisation de photos et de vidéos d’une parcelle forestière. Lors des entretiens, nous demandions aux apprenants de verbaliser à voix haute leurs actions et leurs raisonnements en cours d’action (c’est-à-dire, lorsqu’ils conduisent le diagnostic sylvicole), de décider des interventions à mener sur un peuplement et, dans le cas de l’utilisation de Silva Numerica, de réaliser une partie des décisions proposées. Parfois, le chercheur intervenait pour demander des explicitations aux participants, en partie lorsque la verbalisation spontanée s’arrête, lorsqu’elle ne correspond pas à l’action observée ou lorsque des événements significatifs pour notre recherche se produisent.

Captures d'écran du logicile Silva Numerica. Description détaillée ci-dessous.
Figure 2 – Illustrations du 1er prototype de Silva Numerica et des actions possibles : sélectionner, désigner, détourer, couper, voir les résultats et leurs transformations dans le temps, changer de point de vue. ©Chiron, 2023

Sur le plan technique, l’enregistrement des entretiens par dictaphone et par vidéo occupe une place importante dans le recueil de données. Dans une perspective de didactique professionnelle (Olry et al., 2021), les traces vidéo, croisées aux verbalisations, nous ont permis d’analyser l’activité des apprenants en situation, de saisir le décours temporel de l’activité et des raisonnements élaborés à partir des trois ressources étudiées, et dans le cas de l’utilisation du prototype Silva Numerica, d’analyser les résultats d’actions sur le simulateur. Pour comprendre de manière très fine le déroulement de l’activité, le cheminement des raisonnements au niveau individuel, les empêchements et les ajustements réalisés pendant l’action, nous avons cherché à identifier et formaliser les composantes du schème décrit par Vergnaud (1996) à savoir :

  • les buts, les sous-buts des actions et les anticipations ;
  • les règles d’actions, les prises d’informations et de contrôle opérées ;
  • les invariants opératoires composé des concepts-en-acte et les théorèmes-en-acte ;
  • les inférences élaborées en situation.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Les résultats montrent que tous les apprenants parviennent à élaborer des diagnostics sylvicoles et à proposer des scénarios d’interventions à partir des différentes ressources utilisées, y compris en utilisant le premier prototype de Silva Numerica. Les diagnostics se construisent (tous niveaux de formation confondus) à partir d’une identification massive des variables issues du peuplement, en prenant appui sur les indicateurs quantitatifs et qualitatifs (par exemple : hauteur et diamètre des arbres, conformation, présence de défauts). Nous faisons ressortir la mobilisation d’un noyau de théorèmes-en-acte et de concepts-en-acte qui guident les prises d’informations et orientent les buts et les sous-buts des apprenants (ces invariants opératoires sont figurés dans le Tableau 1).

Tableau 1 – Principaux théorèmes-en-acte et concepts-en-acte repérés majoritairement dans l’ensemble des diagnostics sylvicoles menés par des apprenants, tous niveaux de formation confondus.
Théorèmes-en-acteConcepts-en-acte
La valeur marchande dépend de la qualité et
de la conformation des bois
Filière et utilisation des bois
Qualité
Conformation
L’apport de lumière permet aux arbres de se
développer en hauteur et en diamètre
Apport de lumière
Croissance des arbres
L’arrivée de lumière au sol est propice à la
régénération
Apport de lumière
Régénération naturelle

Le tableau présente les principaux théorèmes-en-acte et concepts-en-acte repérés majoritairement dans l’ensemble des diagnostics sylvicoles menés par des apprenants.
Le premier théorème-en-acte « La valeur marchande dépend de la qualité et de la conformation des bois » est associé à trois concepts-en-acte : filière et utilisation des bois, qualité et conformation.
Le second théorème-en-acte « L’apport de lumière permet aux arbres de se développer en hauteur et en diamètre » est associé à deux concepts-en-acte : apport de lumière et croissance des arbres.
Enfin, le troisième théorème-en-acte « L’arrivée de lumière au sol est propice à la régénération » est associé à deux concepts-en-acte : apport de lumière et régénération naturelle.

Parmi les concepts-en-acte, la qualité et la conformation des bois sont directement liés à l’aspect productif de la forêt ; ils orientent le but général de produire les plus beaux bois possibles en vue de leur commercialisation. Les deux théorèmes-en-acte suivants sont directement en lien avec le concept de mise en lumière des arbres et du semis pour leur développement. Si la lumière n’est pas une variable directement manipulable par de futurs professionnels, les apprenants poursuivent deux sous-buts : apporter de la lumière et de la place pour faire croître les arbres désignés d’avenir2 (mais pas trop pour éviter l’apparition de défauts sur les troncs, conduisant à une dévalorisation commerciale).

Si les variables du peuplement sont massivement repérées en forêt, d’autres variables ne sont pas reconnues, mobilisées ou articulées par les apprenants, et ce, même si elles apparaissent dans les différentes ressources étudiées. Par exemple, les variables issues de la station et du vivant ne sont pas ou peu prises en compte (par exemple : décrire le type d’humus et raisonner son potentiel sur le peuplement, identifier la présence de vers de terre sur la base des turricules pour raisonner un processus de décomposition important, etc.). Sans l’articulation de ces informations, les apprenants ne parviennent pas toujours à formuler des bilans intermédiaires ne les conduisant pas à définir des états de la situation. Ils ont une représentation de la forêt sous forme d’îlots, ce qui limite les possibilités de proposer des interventions pertinentes et cohérentes (Chiron et al., 2019).

Nous observons des différences entre les niveaux de formations, toutes ressources confondues. Les apprenants de BP RCF et de Bac Pro Forêt repèrent davantage des informations quantitatives comme les diamètres et la hauteur des arbres pour définir l’état et le potentiel d’une forêt. Ils sous-estiment les variables temporelles (les cycles de rotation proposés sont trop courts) les conduisant à raisonner les différentes interventions de manière réactive. À l’inverse, en cherchant à vérifier certaines valeurs correspondant à des normes professionnelles (par exemple : espacement moyen, diamètre d’exploitabilité du chêne), les apprenants du BTS GF formulent des interventions qui envisagent l’évolution de la croissance des arbres dans l’espace et dans le temps ; leurs raisonnements d’interventions sont davantage orientés sur l’anticipation des transformations du peuplement dans le temps.

Parmi les résultats importants consacrés à l’utilisation des différentes ressources, nous constatons que les supports photos et vidéos occasionnent parfois des erreurs dans le diagnostic sylvicole (par exemple : reconnaitre le régime et le traitement sylvicole3). Dans le cas d’un peuplement un peu ambigu, des apprenants ne confrontent pas toujours les informations perçues avec les données chiffrées dont ils disposent (les données dendrométriques4). Articuler les données visuelles avec les données dendrométriques tirées de documents de gestion peut faire l’objet d’une attention plus marquée en formation.

L’utilisation du premier prototype de Silva Numerica offre aux apprenants la possibilité de réaliser différentes opérations successives, de mener des éclaircies5, et de simuler les résultats d’actions dans le temps (ces éléments sont peu accessibles sur le terrain). Certains apprenants réalisent leurs actions de façon séquentielle, d’autres sont en difficulté, tâtonnent longuement et doivent changer de buts et de sous-buts (par exemple : faire une éclaircie par le haut). Les possibilités de mener des interventions sur un cycle long et de recommencer permet aux apprenants de raisonner et de planifier leurs actions, de gagner en rapidité lors de certaines procédures et d’affiner certaines prises d’informations (notamment lorsqu’ils sont confrontés à des compromis, c’est-à-dire choisir des arbres à couper dans un bouquet d’arbres présentant tous des qualités). Nous mettons en évidence que la visualisation des résultats suscite chez 6 apprenants un développement de leurs représentations d’un processus peu visible à l’œil nu, la concurrence des arbres pour l’accès à la lumière. En conséquence, ils remettent en doute leurs précédentes actions et étendent leurs prises d’informations pour vérifier les indicateurs de la concurrence dans l’espace et dans le temps (par exemple : vérifier l’imbrication des houppiers6).

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Si le premier prototype de Silva Numerica offre des résultats encourageant sur l’apprentissage de certaines procédures (faire des choix, s’organiser et être plus rapide dans l’exécution), les prises d’informations et les buts peuvent être travaillés en s’entrainant au diagnostic sylvicole en combinant les trois ressources (déplacement sur le terrain, utilisation de photos et de vidéos, utilisation de Silva Numerica).
  • Dans l’ensemble, les diagnostics sylvicoles sont complexes. Les apprenants identifient bien les variables relevant du peuplement, mais leurs raisonnements couvrent moins le champ de la station et des variables liées au vivant (soit ils ne donnent pas ou peu d’informations, soit ils restent trop descriptifs et ne combinent pas les informations issues du peuplement et de la station pour déduire l’état et le potentiel de la forêt). Une proposition serait, toutes ressources confondues, de faire expliciter aux apprenants les variables issues de la station et du vivant, de les pousser à déduire les conséquences de telles observations sur la qualité du peuplement et ainsi proposer des scénarios pertinents.
  • Nous avons vu que l’articulation entre les données dendrométriques et les aspects visuels d’un peuplement n’est pas systématique. Pourtant cette articulation entre « le papier » et « la réalité » est cruciale pour déduire le régime et le traitement (notamment s’il est ambiguë). Nous pouvons proposer de faire verbaliser systématiquement les apprenants sur les données issues d’un tableau de répartition de diamètres et de comparer avec des photos du peuplement pour dédire le traitement pertinent. Les photos sont aussi une ressource intéressante pour montrer la diversité des régimes et des traitements possibles selon les régions forestières, les objectifs assignés et le stade du peuplement.
  • Les buts des interventions sont, pour la plupart, d’ordre économique et les buts liés aux dimensions écologique et sociale ne sont pas mentionnées. Une piste consiste à demander de manière systématique la conduite de plusieurs scénarios élaborés ou ajustés en fonction des trois dimensions de la forêt (économique, écologique et sociale) voire d’imaginer un scénario en fonction des conséquences du changement climatique.
  • Notre étude montre une difficulté pour des apprenants de BP et de Bac Pro d’agir au bon moment. En percevant de la régénération au sol ou un arbre ayant atteint un diamètre d’exploitabilité, ils décident de lancer trop tôt un nouveau cycle sylvicole. Pour s’entrainer à lutter contre cette décision contre-intuitive nous pouvons proposer aux enseignants-formateurs de travailler sur quelques normes utilisées par les apprenants de BTS pour anticiper les rotations des cycles et ainsi affiner leurs scénarios d’interventions (par exemple : usage du diamètre d’exploitabilité, structure du peuplement, etc.).
  • Nos résultats montrent un perfectionnement de la représentation du concept de concurrence chez certains apprenants grâce aux feedbacks offerts par Silva Numerica sur les résultats d’actions, mais ce résultat n’est pas systématique. Si cet apprentissage apparait de manière spontanée (et parfois avec l’aide du chercheur) chez quelques apprenants, nous insistons sur l’activité importante de médiation des enseignants-formateurs pour que l’utilisation de l’outil numérique soit au service de l’apprentissage. En effet, la simple utilisation de Silva Numerica ne suffit pas. Cette activité de médiation des enseignants-formateur est centrale pour faire penser, raisonner et verbaliser les apprenants notamment lors d’un usage futur de Silva Numerica en formation (en particulier pour mener des briefings et des débriefings). Dans ce sens, notre méthodologie propose des pistes à destination des enseignants-formateurs pour faire raisonner et verbaliser les apprenants en prenant appui sur des questions permettant de questionner l’activité des apprenants lors de la conduite d’un diagnostic sylvicole.

Notes de bas de page :

  1. La première version de Silva Numerica étant à l’état de prototype, il n’a pas été possible de l’utiliser en formation. ↩︎
  2. Les arbres d’avenir sont des arbres dont le potentiel est jugé suffisant pour répondre aux objectifs de productions fixées. Les opérations sylvicoles sont orientées à leurs profits. ↩︎
  3. Le régime est un mode de renouvellement du peuplement forestier (futaie, taillis ou taillis-sous-futaie), et le traitement est l’ensemble des intervenions appliquées en vue de maintenir ou de faire évoluer le peuplement vers une structure déterminée (régulière ou irrégulière). ↩︎
  4. Les données dendrométriques concernent les mesures des arbres au niveau global et individuel comme la hauteur, le diamètre, la densité, le volume, etc. ↩︎
  5. Les éclaircies sont des coupes sélectives réduisant le nombre d’arbres notamment pour leur commercialisation. ↩︎
  6. Les houppiers sont les ramifications des arbres situées au-dessus du fût. Il s’agit en quelque sorte du branchage. ↩︎

Références

Chiron, T., Guidoni-Stoltz, D., et Mayen, P. (2019). Explorer l’activité de diagnostic d’une parcelle
forestière par des apprenants forestiers pour favoriser l’apprentissage de gestion de situations
dynamiques en lien avec le vivant. Recherches en éducation, 38. https://doi.org/10.4000/ree.732

Chrétien, F. (2021). Des savoirs raisonnés (scolaires, procéduraux et scientifiques) à leur pragmatisation dans l’activité d’apprenants : l’exemple du diagnostic de station forestière. Travail et
apprentissages, 22
(1), 27-49. https://doi.org/10.3917/ta.022.0027

Guidoni-Stoltz, D. (2020). l’œil du forestier, instrument et miroir de l’activité professionnelle. Une
perspective de didactique professionnelle. Revue d’anthropologie des connaissances, 14(14-3).
https://doi.org/10.4000/rac.8371

Hoc, J.- M. (1996). Supervision et contrôle de processus : La cognition en situation dynamique. Presses universitaires de Grenoble.

Mayen, P., et Lainé, A. (2014). Apprendre à travailler avec le vivant : développement durable et didactique professionnelle (P. Mayen et A. Lainé, dir.). Éditions Raisons et Passions.

Olry, P., Métral, J.- F., et Chrétien, F. (2021). L’usage des vidéos en didactique professionnelle : statuts technique, pragmatique, épistémique et acceptabilité sociale. Savoirs, 55(1), 59-75. https://doi.org/10.3917/savo.055.0059

Pastré, P., et al., (2005). Apprendre par la simulation : de l’analyse du travail aux apprentissages professionnels (P. Pastré, dir.). Octarès Éditions.

Pastré, P., Mayen, P., et Vergnaud, G. (2006). La didactique professionnelle. Revue française de pédagogie, 154, 145-198. https://doi.org/10.4000/rfp.157

Samurçay, R., et Rogalski, J. (1992). Formation aux activités de gestion d’environnements dynamiques : concepts et méthodes. Éducation permanente, 111, 227-242.

Tricot, A. (2020). Quelles fonctions pédagogiques bénéficient des apports du numérique ? Paris : Cnesco-Cnam.

Vergnaud, G. (1996). Au fond de l’action, la conceptualisation. Dans J.- M. Barbier (dir.), Savoirs théoriques, savoirs d’action (p. 275-292). Paris : PUF.

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Thèses

Habileté spatiale et stratégies de modélisation

Sophie CHARLES

Niveaux

1ère année d’études en école d’ingénieurs comprenant des enseignements de mécanique

Public

Enseignants de technologie, enseignants de mathématiques, enseignants de sciences physiques et de sciences naturelles, enseignants de CAO

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche s’inscrit dans le projet e-FRAN EXAPP_3D qui vise à « entretenir et accentuer l’intérêt des élèves du secondaire dans les filières techniques et professionnelles dédiées principalement à la conception et la définition de produits industriels en vue d’améliorer leur réussite scolaire » (ISAE-Supméca, 2016, paragr. 1). Pour ce faire, EXAPP_3D s’appuie sur une pédagogie par problèmes et par projets auprès d’élèves de collège, de lycées et d’écoles d’ingénieurs impliqués dans des travaux de groupe mobilisant des outils de Conception Assistée par Ordinateur (CAO). Ces expérimentations visent à aider des élèves dans des territoires en difficulté à persévérer dans leurs études et leur insertion professionnelle. Selon les partenariats inter-établissements conclus, des regroupements d’élèves impliquent des élèves de niveau collège, lycée, BTS ou école d’ingénieurs, autour de projets portant notamment sur l’agriculture urbaine, les transports ou la santé, en mobilisant des outils de CAO variables : SketchUp (Schell et Esch, 2000), Solidworks (Dassault Systèmes, 1995) ou CATIA (Dassault Systèmes, 2012). La variabilité de la distribution des observables et la probabilité qu’une approche pédagogique ait un effet sur les apprentissages, quelle que soit l’approche adoptée (Górska, 2005), oriente la recherche vers une investigation des apports de la pratique de la modélisation 3D aux habiletés spatiales (Górska, 2005 ; Martín-Dorta et al., 2008), compétences elles-mêmes corrélées à la réussite dans les études d’ingénierie (Wai et al., 2009). Le choix du terrain est orienté vers un public d’étudiants ingénieurs à partir de facteurs de calendrier, de durabilité et de potentialité de maîtrise et de contrôle des variables. Les protocoles définis sur ce public ont pour vocation à être mis à l’échelle auprès d’un public de collégiens pour vérifier la réplicabilité des résultats. Cette partie de la recherche n’a pu avoir lieu dans le cadre de la thèse en raison de la crise sanitaire.

Plus précisément, ce travail de recherche s’intéresse à caractériser les particularités, les performances et l’activité d’étudiants ingénieurs engagés dans des tâches de résolution de problèmes spatiaux à différents moments de leur parcours de formation. Les étudiants ingénieurs d’ISAE-Supméca1 sont confrontés à des problèmes spatiaux dès la première année de leur parcours, notamment dans des enseignements dédiés à l’apprentissage de la modélisation volumique et d’outils de CAO. Bien qu’engagés dans une même formation, ces apprenants sont caractérisés par des compétences et connaissances variées, acquises notamment dans les filières post-bac qu’ils ont suivies et dans leur pratique de loisirs. Les compétences spatiales qu’ils ont développées entretiennent-elles une relation avec les tâches de modélisation volumique qu’ils vont rencontrer dans leurs études d’ingénierie ? Quelles sont les potentielles sources de développement de ces compétences ? Nous nous intéressons aussi bien aux performances relevées dans ces tâches de nature spatiale qu’à l’activité qui y est mise en œuvre.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Plusieurs études (Branoff et Dobelis, 2012 ; Sorby, 2009 ; Steinhauer, 2012) s’intéressent à la relation entre performance spatiale et performance en modélisation 3D. Ces recherches abordent l’habileté spatiale sous l’angle de la performance à des tests psychométriques visant à mesurer la visualisation spatiale, l’un des deux facteurs composant l’habileté spatiale (Tartre, 1984). Notre recherche s’intéresse à explorer l’ensemble des facteurs constitutifs de l’habileté spatiale (Tartre, 1984), au travers de la mesure de performance mais aussi de l’activité mise en œuvre dans ces tâches. Cette recherche vise à répondre à quatre questions :

  1. quel est le lien entre performance à des tests spatiaux et caractéristiques individuelles ?
  2. quel est le lien entre performance en modélisation et caractéristiques individuelles ?
  3. les habiletés spatiales évoluent-elles suite à des enseignements de première année à ISAE-Supméca ?
  4. la performance et les stratégies de modélisation évoluent-elles suite à des enseignements de première année à ISAE-Supméca ?

Question 1 : quel est le lien entre performance à des tests spatiaux et caractéristiques individuelles ?
L’évaluation des compétences spatiales se fait souvent, dans la recherche, au travers de tests psychométriques visant à mesurer la visualisation spatiale, c’est à dire en comptant le nombre de réponses justes à des exercices visant à mettre en œuvre des stratégies de rotation mentale et de transformation mentale. Cette mesure permet une évaluation quantitative, rapide et facile à réaliser en classe. Cependant, ces mesures ne prennent pas en compte les stratégies de résolution réellement mises en œuvre par les sujets d’une part (Guay, 1980 ; Hegarty, 2018) et ne s’intéressent pas aux compétences d’orientation spatiale (Tartre, 1984) d’autre part. Des études suggèrent que plusieurs stratégies sont mobilisables dans certains tests spatiaux (Lohman, 1979 ; Thurstone, 1938) et qu’il est nécessaire de les investiguer pour déterminer ce qui est réellement mesuré (Barratt, 1953 ; Bloom et Broder, 1950). Nous nous intéressons aux stratégies mises en œuvre dans les tests spatiaux pour vérifier la pertinence de ces tests dans l’évaluation de ces compétences. Nous nous intéressons de plus au lien entre les caractéristiques des sujets et leur performance spatiale pour identifier d’éventuels effets et ainsi d’éventuelles sources de développement.

Question 2 : quel est le lien entre performance en modélisation et caractéristiques individuelles ?
La performance en modélisation est liée aux compétences spatiales des utilisateurs, mesurées au travers de tests psychométriques visant à mesurer la visualisation spatiale (Branoff et Dobelis, 2012 ; Steinhauer, 2012). Les stratégies de modélisation sont en relation avec la même compétence spatiale (Agbanglanon, 2019), mais aussi avec la performance en modélisation (Hamade et al., 2005 ; Lang et al., 1991). Nous nous intéressons à comprendre l’articulation entre ces éléments et plus particulièrement la relation entre performance en modélisation et caractéristiques individuelles, explorées au travers des variables performances spatiales, stratégies de modélisation, caractéristiques sociodémographiques et pratiques extrascolaires. En d’autres mots, nous investiguons d’éventuelles sources d’acquisition de compétences de modélisation.

Question 3 : les habiletés spatiales évoluent-elles suite à des enseignements de première année à ISAE-Supméca ?
La malléabilité des compétences spatiales a été établie grâce à la méta revue de Uttal et al., (2013). Les études qui y sont traitées portent sur l’évaluation de dispositifs visant à améliorer les compétences spatiales, principalement de visualisation spatiale, des sujets impliqués. Nous souhaitons déterminer, d’une part, si les compétences spatiales, dont l’orientation spatiale, peuvent évoluer suite à des enseignements de première année d’études d’ingénieurs, dont l’objet premier n’est pas le développement de ces compétences, et d’autre part, si ces éventuelles évolutions sont liées aux caractéristiques individuelles des sujets.

Question 4 : la performance et les stratégies de modélisation évoluent-elles suite à des enseignements de première année à ISAE-Supméca ?
Les études portant sur les effets des enseignements de modélisation mettent en avant la nécessité de dépasser la simple maîtrise des outils de modélisation volumique, pour enseigner des stratégies de modélisation efficaces (Chester, 2007 ; Rynne et Gaughran, 2007). Nos sujets sont exposés à des enseignements, dont des enseignements de modélisation. Il s’agit d’investiguer si les enseignements reçus permettent des évolutions en performance et en stratégie, mais aussi si ces évolutions sont liées aux caractéristiques individuelles des apprenants.

Pour conclure, les résultats des recherches menées autour de la modélisation volumique et de sa relation avec les compétences spatiales suggèrent que la performance en visualisation spatiale prédit la performance en modélisation. Caractériser les compétences spatiales, recouvrant les compétences visuo-spatiales et d’orientation spatiale, et les stratégies mises en œuvre dans les tâches visant à les mobiliser, est une première étape indispensable pour que cette habileté soit mieux comprise, mieux prise en compte et enseignée. Il est de même important de caractériser les performances en modélisation et les stratégies qui y sont déployées pour mieux orienter les enseignements qui visent leur acquisition. L’objectif de notre étude est d’approfondir les connaissances actuelles sur le développement de l’habileté spatiale et de la compétence à modéliser en trois dimensions au cours de l’apprentissage. Cette recherche a permis d’établir le lien entre ces deux familles de compétences auprès d’étudiants ingénieurs, d’observer la pertinence des outils d’évaluation de l’orientation spatiale dans l’étude de cette relation, et d’étudier l’importance de caractériser l’activité déployée dans ces tâches.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Pour répondre à ces questions, notre recherche s’est orientée sur la qualification de la performance de 146 étudiants ingénieurs en première année à ISAE-Supméca dans des tâches spatiales et de l’activité mise en œuvre dans ces tâches pour réaliser cette performance. Pour ce faire, nous avons mobilisé deux types de problèmes spatiaux. D’une part, ceux présentés dans des tests psychométriques visant à mesurer le résultat d’opérations spatiales mentales : le Mental Rotation Test (ou MRT, Vandenberg et Kuse, 1978) et le Revised Purdue Spatial Visualization Tests: Visualization of Rotations (ou R PSVT:R, Yoon, 2011) visent à évaluer la rotation mentale, le Mental Cutting Test (ou MCT, Board, 1939) vise à évaluer la transformation mentale, le Purdue Spatial Visualization Test: Visualization of Views (ou PSVT:V, Guay, 1976) la capacité à changer de point de vue et le Closure Flexibility Test (Concealed Figures) Form A (ou CFT, Thurstone et Jeffrey, 1956) la dissociation (Question 1). Ce faisant, nous explorons les quatre sous-facteurs spatiaux du modèle de classification de l’habileté spatiale de (Tartre, 1984). D’autre part, nous mobilisons des problèmes spatiaux présentés dans des exercices de modélisation volumique au travers d’un exercice à réaliser sur une plateforme de développement de produit en ligne (Hirschtick et al., 2014) (Question 2).

Nous incluons dans nos expérimentations des modalités d’évaluation de la performance des étudiants, ainsi que des observations de leur activité. Les tests spatiaux sont suivis de questionnaires ouverts, interrogeant les stratégies mobilisées par les étudiants (Question 1). Les exercices de modélisation sont filmés grâce à la captation de l’activité à l’écran et au filmage de la partie supérieure du corps des apprenants (Question 2).

Les données recueillies sont complétées par l’investigation de la pratique de loisirs et de logiciels de modélisation des étudiants au travers de questionnaires à choix multiples. En effet, au-delà de la performance, nous nous préoccupons d’en explorer de possibles sources de variabilité entre les apprenants (Questions 1 et 2).

Deux prises de mesure ont lieu : la première à l’arrivée des étudiants à l’école, et la seconde, après qu’ils ont suivi les enseignements du premier semestre. Ces deux prises de mesure nous permettent d’observer l’éventuelle évolution des performances et des stratégies employées par les apprenants dans les deux types de tâches spatiales suite aux enseignements (Questions 3 et 4).

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Les premiers résultats concernent les habiletés spatiales et les caractéristiques individuelles (Question 1). Conformément à la littérature (Gold et al., 2018), nos résultats mettent en évidence une relation significative entre la pratique de loisirs et performance spatiale. La différenciation des loisirs révèle le rôle des loisirs dynamiques et manipulatoires dans l’enfance et l’adolescence sur le développement des compétences spatiales. Nous observons aussi une relation entre performance spatiale et pratique de modeleurs volumiques, conformément à des études antérieures (Górska, 2005, p. 203 ; Martín-Dorta et al., 2008, p. 509). En revanche, nos observations ne corroborent que partiellement la différence de performance spatiale liée au genre en faveur des hommes traditionnellement décrite dans la littérature (Albaret et Aubert, 1996 ; Maeda et Yoon, 2013) : nous n’observons pas de différence de performance aux tests de visualisation spatiale entre les hommes et les femmes de notre échantillon, et les résultats montrent que les femmes obtiennent de meilleurs résultats au test de dissociation. Ceci confirme la particularité des étudiantes spécialisées en Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques ou STIM (Agbanglanon, 2019 ; Albaret et Aubert, 1996).

L’analyse des stratégies déclarées mobilisées dans les tests spatiaux corrobore la présence de plusieurs stratégies mises en œuvre par les étudiants, que ces stratégies soient visées par les tests ou non, la combinaison de plusieurs stratégies pour répondre à une question et le changement de stratégie d’une question à une autre dans un test mesurant une compétence spatiale unique spécifique (Hegarty, 2018). Notre étude met ces résultats en évidence pour les cinq tests de notre batterie. Nos analyses révèlent que des combinaisons de stratégies spécifiques aux tests sont plus efficaces pour le MCT et le CFT, et que le changement de stratégie est bénéfique à la performance dans le MRT, le MCT et le CFT.

Relativement à notre deuxième question de recherche, les analyses réalisées confirment une corrélation entre performances spatiales et performance en modélisation (Branoff et Dobelis, 2012 ; Steinhauer, 2012). Notre étude étend cette relation traditionnellement observée avec les tests de visualisation spatiale aux tests d’orientation spatiale, et en particulier au test de dissociation. Nous mettons de plus en évidence une relation entre performance spatiale et stratégies de modélisation 3D.

Nous n’observons en revanche pas de relation entre performance en modélisation et pratique de loisirs alors que la pratique antérieure de modeleurs volumiques et les formations à contenu technologique profitent à la performance en modélisation. Ceci suggère que des formations formelles spécifiques sont nécessaires à l’acquisition de ces compétences, à la différence du développement des habiletés spatiales.

La répétition de nos expérimentations à la fin du premier semestre d’enseignement nous permet d’investiguer l’évolution des performances spatiales suite aux enseignements suivis en première année d’école d’ingénieurs (Question 3). Cette évolution est supérieure à l’évolution imputable à l’effet d’entraînement2, c’est-à-dire l’augmentation des performances induite par l’utilisation répétée de tests identiques à trois mois d’intervalle (Hopkins, 1998). Ce résultat confirme la malléabilité des habiletés spatiales (Uttal et al., 2013), y compris grâce à des dispositifs pédagogiques ne visant pas spécifiquement à développer ces compétences. Nous remarquons une progression plus importante en ce qui concerne le MCT et le PSVT:V pour les étudiants dont les performances étaient les plus faibles à la première prise de données, soit les femmes.

De même, nous observons une évolution des performances en modélisation suite à des enseignements en première année d’école d’ingénieurs, qui comprenaient des enseignements de CAO (Question 4). Cette évolution est supérieure à l’évolution imputable à l’effet d’entraînement. Cette progression est plus importante pour les étudiants dont les performances étaient les plus faibles à la première prise de données, soit les étudiants sans bagage technologique et les étudiants sans expérience préalable des modeleurs volumiques. Nous observons parallèlement une évolution des stratégies de modélisation en faveur de stratégies plus efficaces à la seconde prise de données. Nous observons que d’avantage d’étudiants définissent la longueur totale de la pièce, qu’ils le fassent en la définissant d’une extrémité à une autre ou en la décomposant en plusieurs entités. Cette amélioration de la performance en modélisation, suite à des enseignements de CAO à l’aide d’un logiciel différent de celui utilisé pour nos expérimentations, confirme le caractère transférable des connaissances procédurales observées dans la littérature (Lang et al., 1991).

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Les tests spatiaux, y compris les tests d’orientation spatiale, sont utiles pour repérer les étudiants aux connaissances faibles en géométrie plane.
  • Les tests spatiaux sont utiles pour repérer des étudiants aux compétences pertinentes pour des spécialisations telles les sciences de l’ingénieur et l’architecture.
  • Les habiletés spatiales sont malléables : elles peuvent être développées au travers d’activités de loisirs, aussi bien qu’au travers d’apprentissages formels.
  • Une évaluation fine des compétences spatiales devrait tenir compte non seulement de la performance, mais aussi des stratégies (par exemple la rotation mentale) mobilisées dans les tests spatiaux, qui visent souvent des compétences spécifiques (par exemple la transformation mentale). Cette précaution est importante dans le cas où la prise de performance est utilisée pour déterminer les objectifs pédagogiques de dispositifs de remédiation.
  • Une évaluation fine de l’activité de modélisation 3D devrait tenir compte non seulement de la performance, mais aussi des stratégies mobilisées. Cette investigation permet d’identifier des sources d’erreur récurrentes (par exemple, choix de la surface à extruder, sur-contraintes) utiles pour orienter les enseignements.

Notes de bas de page :

  1. SAE-Supméca est une école d’ingénieurs spécialisée en mécanique. Les enseignements du premier semestre concernent notamment l’analyse de mécanismes, la mécanique des solides, les mathématiques appliquées et la CAO. ↩︎
  2. https://dictionary.apa.org/practice-effect ↩︎

Références

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Catégories
Thèses

Évaluation d’une expérimentation randomisée de la pensée informatique, vecteur d’apprentissage des mathématiques au cycle 3 de l’école élémentaire, en classe de CM1 et CM2

Manon CHEVALIER-LAURENT

Niveaux

CM1 et CM2



Public

Enseignant·es de cycle 3



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Action/Projet associé(e)

Ressource(s) associée(s)

À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Cette recherche porte sur l’effet de la pensée informatique via la programmation en tant que facteur d’efficacité sur les acquisitions et les variables motivationnelles, en mathématiques, au cycle 3 de l’école primaire. Dans ce cadre, nous posons deux questions : (1) L’utilisation de la programmation visuelle pour résoudre des problèmes mathématiques permet-elle de favoriser les acquisitions en mathématiques ? (2) L’environnement de programmation, parce qu’il est différent de l’environnement habituel et permet de délivrer aux élèves des rétroactions directes et neutres affectivement, peut-il lever certains freins sociocognitifs vis-à-vis des mathématiques tels que l’anxiété et favoriser des comportements d’approche vis-à-vis de cette activité (motivation, sentiment d’efficacité personnelle) ?

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Question 1 : Programmer pour apprendre les mathématiques a d’abord été mis en œuvre dans les années 70 sous l’impulsion de Papert (1980) du MIT avec le langage Logo (et d’autres tels que Pascal ou Basic), spécialement développé pour les jeunes enfants. Dans une perspective constructionniste, la programmation permettait une forme de manipulation favorisant l’accès aux concepts abstraits. Néanmoins, la difficile maîtrise de ces langages a freiné le développement de cette pratique qui s’est progressivement éteinte. Dans les années 2000, le développement de langages visuels, tels que Scratch, simplifie l’accès à la compréhension des concepts de programmation (Lye et Koh, 2014) et rend à nouveau possible les projets d’apprentissages des mathématiques avec la programmation. Concomitamment, les compétences liées à la pensée informatique sont considérées comme indispensables à la formation du citoyen du 21ème siècle et se voient intégrées dans les programmes scolaires dès le primaire, souvent à travers la discipline des mathématiques (Bocconi et al., 2016 ; Tang et al., 2019 ; Wing et Stanzione, 2016).

Les apprentissages mathématiques sont cruciaux pour la réussite académique des élèves, mais les enquêtes nationales et internationales indiquent que les résultats des élèves français dans cette discipline sont en baisse depuis plus de 30 ans (Chabanon et Pastor, 2019). La mise en œuvre de méthodes efficaces est donc nécessaire pour améliorer ces apprentissages et la pratique de la programmation pourrait être une piste pertinente pour cela. Outre qu’elle permette une manipulation concrète des objets mathématiques et offre des rétroactions directes non affectives, elle permet de traiter les notions mathématiques à travers le registre de la programmation et celui de l’écriture mathématique traditionnelle. Le passage d’un registre à l’autre s’établit par une conversion de registres (Duval, 1999 ; Duval, 2000), forme de transfert d’apprentissage entre les deux types de représentations mathématiques. Pour Duval (1999) et Duval (2000), la compréhension profonde des notions mathématiques dépend de la maîtrise de la conversion de registres.

Pour autant, il convient d’évaluer les effets de cette pratique d’ores et déjà à l’œuvre dans le primaire (B.O. spécial n°11 du 26/11/2015) car elle présente également des points qui pourraient freiner les apprentissages. Ainsi, la conversion de registres demeure difficile à réaliser et doit être soigneusement guidée et soutenue pour aboutir (Duval, 1999 ; Duval, 2000). De plus, l’utilisation des langages visuels peut engendrer une charge cognitive trop lourde gênant le traitement des données nécessaires aux apprentissages. Les études qui portent sur les effets de cette pratique sont rares et relèvent peu souvent d’une méthodologie fiable (Hickmott et al., 2018 ; Moreno-León et Robles, 2016). Notre étude contrôlée randomisée permet d’apporter des résultats répondant aux exigences de qualité fixées par la recherche en éducation, à savoir, des résultats issus de données probantes sur les effets des activités de programmation en mathématiques sur les acquisitions de cette discipline.

Question 2 : Les usages numériques sont fréquemment mis en avant notamment pour leurs effets positifs sur la motivation des élèves, mais peu d’études évaluent leur relation (Galand, 2020 ; Tricot, 2020). Pour l’étudier, nous nous sommes intéressés à trois construits motivationnels, prédicteurs de réussite scolaire : la motivation autodéterminée, le sentiment de compétence et l’anxiété.

Ces trois construits fonctionnent en constellation : dans un schéma adaptatif, plus la motivation est autodéterminée, plus le sentiment de compétence est fort et l’anxiété faible. La formation de comportements adaptatifs est favorisée par des pratiques de classes qui soutiennent trois besoins psychologiques fondamentaux : l’autonomie, la compétence et la proximité sociale (Sarrazin et al., 2011). Parmi ces pratiques, la structuration des apprentissages et la qualité des interactions sont centrales. L’accueil des erreurs comme indices d’apprentissage, et non comme indices d’une intelligence moindre favorise la motivation, le sentiment de compétence et la baisse de l’anxiété (Dweck, 2015). À l’inverse, le manque de soutien ou encore la gêne occasionnée par l’échec face aux pairs sont les ingrédients de l’anxiété en mathématiques (Ashcraft et Krause, 2007).

À ce titre, certaines fonctionnalités des outils de programmation peuvent favoriser la motivation parce qu’elles offrent des espaces d’autonomie qui renforcent le sentiment de contrôle des élèves et sont sources de motivation (Viau, 2009). Par ailleurs, elles permettent aux élèves d’obtenir une rétroaction directe, sans jugement car délivrée par la machine, évitant aux élèves la peur de se tromper en public. Ceci pourrait réduire l’anxiété des élèves anxieux (Ashcraft et Krause, 2007). Les élèves peuvent ainsi rester engagés dans la tâche en réagissant aux rétroactions directes par l’ajustement, si nécessaire, de leur raisonnement et le test de nouvelles solutions algorithmiques.

Hypothèses : Notre travail teste quatre hypothèses, la première sur les acquisitions mathématiques et les trois suivantes sur la conation (concernant les variables motivationnelles) en mathématiques. Nous supposons que l’utilisation du dispositif de programmation visuelle améliorera les performances des élèves sur trois notions étudiées : la division euclidienne, la décomposition additive et les fractions, comparativement aux élèves du groupe contrôle (H1). Nous faisons l’hypothèse que l’utilisation de la programmation visuelle, de par son caractère innovant et ludique, agira favorablement sur les différents processus motivationnels que nous avons mesurés, en soutenant la formation de régulations plus autodéterminées de la motivation en mathématiques1 (H2.1), en affectant positivement le sentiment de compétence en mathématiques (H2.2), et en réduisant l’anxiété en mathématique des élèves comparativement aux élèves du groupe contrôle (H2.3).

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Notre étude a porté sur 2 591 élèves de CM1 et CM2 issus de 109 classes de 47 écoles de la circonscription de Grenoble recrutées en fin d’année scolaire 2016-2017 (tous les enseignants qui se sont portés volontaires suite à un appel à enseignants auprès de la circonscription de Grenoble ont été acceptés). Les écoles ont été choisies comme unités de randomisation pour l’assignement aux deux conditions : programmation (nécoles = 28, nclasses = 68) et contrôle (nécoles = 18, nclasses = 41). Parmi les 109 classes recrutées, 36 se trouvaient en zones d’éducation prioritaire.

L’intervention dans les classes s’est déroulée sur une durée d’environ cinq mois. Les enseignants ont été formés (T0) et ont reçu la documentation nécessaire à la mise en œuvre des enseignements spécifiques à leur groupe. Chaque notion (division euclidienne, décomposition additive, fractions) comptait trois séances de 50 min maximum. Les élèves ont travaillé en binômes dans les deux conditions de travail.

Avant l’intervention (T1), les questionnaires élèves ont permis de recueillir les données conatives : anxiété en mathématiques, mesurée avec l’échelle adaptée de Pouille (2016), le sentiment de compétence en mathématiques, mesuré avec l’échelle de Harter (1985) sur la dimension des « compétences scolaires » (Scholastic Competence) et la motivation autodéterminée en mathématiques, mesurée avec l’échelle de Guay et al., (2010). À cette même période, les élèves ont réalisé un test de performance générale en mathématiques, et les enseignants ont rempli des questionnaires en ligne pour recueillir des informations sur leurs pratiques et avis sur la formation Expire (projet dans lequel s’inscrit ce travail de recherche).

À partir d’octobre 2017, les séquences de mathématiques ont débuté selon la progression prescrite. Chacune des notions a donné lieu à un prétest (T2, T4, T6) et un post-test (T3, T5, T7), similaires pour chaque notion, mesurant les acquisitions des élèves sur chacune des notions traitées, administrés par les enseignants en classe entière.

À la fin de la mise en œuvre du dispositif dans les classes, les élèves ont à nouveau été soumis à des questionnaires afin de recueillir les données conatives post-intervention, identiques à celles recueillies en T1. Les enseignants ont à nouveau répondu à des questionnaires en ligne, pour recueillir notamment leur avis sur le déroulement du dispositif dans leur classe (T8).

Deux principes ont guidé la conception des activités de nos groupes :

  1. Recourir aux activités les plus courantes pour le développement de la notion visée pour les activités du groupe contrôle.
  2. Transposer les activités du groupe contrôle en activités de programmation, au plus près de celles du groupe contrôle : les situations d’apprentissage « traditionnelles » du groupe contrôle, réalisées avec le matériel habituel de la classe, devaient être transposables en situation de résolution de problèmes par la programmation. Cela impliquait qu’il soit possible de proposer, par le biais de Scratch en l’occurrence, un matériel visuel — affiché dans l’espace d’exécution du programme — suffisamment simple pour faciliter la compréhension de la tâche et permettre aux élèves de valider leur programme lors de son exécution (l’exécution du programme produit une action comme le déplacement d’un curseur par exemple, visible sur ce visuel). L’idée clé de la conception de cette expérimentation réside dans la possibilité de construire un programme pour résoudre un problème qui soit une traduction de l’expression symbolique mathématique à apprendre pour la notion visée.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Nous avons opté pour une approche analytique multiniveau permettant de saisir l’effet que produit chaque « niveau » (école, classe, élève) sur nos variables dépendantes. Nous avons d’abord construit des modèles à 3 niveaux incluant ces niveaux. Cependant la variance entre les écoles n’était pas significative et les valeurs des coefficients de corrélation intraclasse étaient trop faibles pour justifier la prise en compte du niveau « école » dans les analyses. Nos modèles ont donc porté sur deux niveaux : classes et élèves. Les écoles ont été choisies comme unités de randomisation (pour éviter que plusieurs classes d’une même école ne fassent partie de groupes expérimentaux différents).

Question 1 : Nos résultats montrent que les élèves du groupe de programmation font moins de progrès que ceux du groupe de contrôle. Les effets moyens sur les acquisitions des habiletés spécifiques finales du groupe de programmation sont de -0,16 ET (pour la première séquence portant sur la division euclidienne), -0,19 ET (pour la deuxième séquence portant sur les décompositions additives) et -0,21 ET (pour la dernière séquence portant sur les fractions). Ces effets sont nettement plus négatifs que ceux de l’étude ScratchMath (Boylan et al., 2018), qui n’a montré aucun effet de la programmation sur l’apprentissage général des mathématiques (0,03 ET). Ces éléments montrent que, conformément à la littérature, le transfert d’apprentissages escompté dans le cadre de l’apprentissage des mathématiques en passant par des activités de programmation n’est pas automatique.

L’utilisation de la pensée informatique est pourtant particulièrement pertinente dans le domaine des mathématiques car la conversion d’un registre (programmation) à un autre (de l’écriture symbolique mathématique) est censée favoriser la compréhension profonde des notions mathématiques (Duval, 2006). Cependant, la conversion entre les deux registres ne s’est pas produite de la manière attendue, malgré le fait que les enseignants aient reçu la consigne de se montrer le plus explicite possible sur les correspondances et similarités entre ces deux registres lors de la phase d’explication. Il est possible que cette phase n’ait pas été réalisée de façon aussi soutenue qu’attendu. Les enseignants n’ont peut-être pas saisi l’importance de cette phase pour la réussite des élèves du groupe de programmation et cela aura affecté leur apprentissage en entravant le transfert d’apprentissage. Ainsi, nous concluons que le transfert n’a pas été favorisé comme attendu.

Il est possible que les élèves du groupe de programmation aient dû faire face à un trop-plein d’informations liées à la compréhension de l’environnement de programmation, au détriment de l’attention à porter sur la notion à apprendre. Bien qu’ayant bénéficié du même temps d’enseignement des mathématiques que le groupe contrôle, les élèves du groupe de programmation ont pu avoir moins de temps pour s’engager activement dans des activités mathématiques, consacrant une partie de leur temps à la compréhension de leur nouvel environnement de travail. Or, le temps consacré à la tâche est connu pour être un fort prédicteur de réussite (Brophy, 1986). Ce prédicteur de réussite est d’autant plus puissant qu’il est associé à la réussite dans la tâche.

Il est possible que les élèves du groupe programmation aient eu plus de difficulté à réussir les tâches qui leur étaient proposées en programmation, ce qui aura affecté négativement leur temps d’apprentissage académique (Fisher et al., 2015). De même, il est possible que les enseignants du groupe de programmation aient réduit leur temps d’instruction directement ciblé sur les mathématiques pour en consacrer une partie à la gestion du matériel informatique ou à l’utilisation de Scratch.

Il existe un consensus sur le fait que trop d’informations dépasse les limites de la mémoire de travail (Baddeley, 1992 ; Chandler et Sweller, 1991 ; Sweller et al., 2019). La théorie de la charge cognitive est basée sur une conception de l’architecture cognitive selon laquelle l’apprentissage nécessite une réorganisation des connaissances impliquant la mémoire de travail. Cette mémoire est limitée et dépend de la charge cognitive impliquée dans la situation d’apprentissage. Si cette charge dépasse la capacité de la mémoire de travail, l’apprentissage est compromis.

Question 2 : Nos résultats ne montrent aucun effet de la condition programmation sur nos variables conatives relatives aux mathématiques. Ainsi, comparativement à la condition contrôle, aucun effet n’apparaît sur les régulations de la motivation auto-déterminée (H2.1), sur le sentiment de compétence (H2.2) ou sur l’anxiété en mathématique (H2.3), nous contraignant à rejeter ces trois hypothèses conatives. L’homogénéité de ces résultats, qui portent sur des variables qui fonctionnent en constellations (Moore et al., 2015 ; Viau, 1995), donne une bonne assurance de leur validité générale. De nombreuses études évoquent l’effet de la programmation sur la motivation. Les arguments en faveur d’une motivation accrue par l’usage des langages de programmation s’appuient sur le constat du plaisir qu’ont les enfants à utiliser ces logiciels, ce qui favoriserait les apprentissages. Cependant, le plaisir à utiliser une technologie ne correspond pas systématiquement au plaisir de réaliser la tâche. C’est le plaisir à réaliser la tâche qui entretient la motivation intrinsèque et favorise les apprentissages. Le plaisir doit donc être centré sur l’apprentissage et non lié exclusivement à l’utilisation de l’outil informatique (Tricot, 2020 ; Viau, 2009). Des éléments de notre recherche viennent étayer cet argument. Ainsi, les réponses aux questionnaires passés auprès des enseignants en fin d’expérimentation (T8) pour recueillir leurs perceptions quant à la motivation de leurs élèves indiquent que les enseignants ont perçu une motivation plus forte chez leurs élèves dans la condition programmation. Les enseignants donnaient leur degré d’accord sur une échelle de Likert en 5 points à la question : « les élèves ont été motivés ». Cette question « naïve » a pour intérêt de souligner que les perceptions des enseignants à propos de leurs élèves doivent être considérées avec prudence. En effet, s’ils ont perçu un accroissement de la motivation chez leurs élèves, cela ne se retrouve pas dans les analyses des modèles portant sur la motivation autodéterminée que nous avons présentées ici. Nos conclusions confirment les propos de Tricot (2020), Scherer (2016) et Livingstone (2012) qui indiquent que le plaisir des enfants n’est pas une preuve de motivation à réaliser la tâche. C’est le paradoxe préférence/performance (Tricot, 2020).

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Notre étude a montré que l’utilisation de la programmation comme vecteur d’apprentissage des mathématiques en CM1 et CM2 n’est pas aussi efficace que les leçons ordinaires où les mathématiques sont enseignées pour elles-mêmes. Le transfert de l’apprentissage est crucial, mais difficile à réaliser. Ainsi, les langages de programmation visuelle doivent être introduits avec prudence. Les résultats présentés ici indiquent que cela pourrait être délétère pour l’acquisition des mathématiques.
  • L’utilisation de la programmation pourrait être exploitée pour des activités mathématiques complémentaires, qui ne réduiraient pas le temps consacré aux leçons régulières, mais pourraient être placées à d’autres moments sous différentes formes : travail complémentaire pour gérer des groupes de travail différenciés ou approfondissement d’une notion, par exemple.
  • Si la pensée informatique doit être considérée comme une nouvelle forme d’alphabétisation, comme l’annonce la Commission Européenne (Bocconi et al., 2016), les éléments précédents accréditent l’idée qu’il faut l’intégrer comme une discipline propre, avec des temps dédiés dans les programmes, au moins pour les classes de CM1 et CM2 et non comme un outil qui pourrait s’intégrer aux disciplines, sans formation spécifique des enseignants. Dans l’optique d’un apprentissage de la pensée informatique, un logiciel tel que Scratch pourrait se révéler utile. En effet, bien que nous ne l’ayons pas évalué dans notre travail, l’étude ScratchMath (Boylan et al., 2018) indique un effet significatif sur les résultats des tests de pensée informatique (0,10 ET) pour le groupe d’intervention.
  • Nos résultats ont montré une absence d’effet des activités de programmation sur nos variables conatives : la motivation autodéterminée, le sentiment de compétence et l’anxiété, en mathématiques. Cette absence d’effet de la programmation sur nos variables conatives est intéressante car elle remet en question le caractère motivant que produirait systématiquement l’introduction des technologies en classe.

Note de bas de page :

  1. L’hypothèse H2.1 se décline en trois sous-hypothèses, la motivation auto-déterminée étant ici étudiée au regard de trois dimensions. Nous nous attendons à observer, une baisse de la régulation contrôlée (H2.1.1) et une augmentation des régulations identifiée (H2.1.2) et intrinsèque (H2.1.3) chez les élèves du groupe expérimental, comparativement au groupe contrôle. ↩︎

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Apprentissage de notions scientifiques par génération de schémas sur tablettes numériques : études chez des élèves de collège en situation individuelle et collaborative

Julie ROCHAT

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche avait pour objectif général d’étudier les effets de l’apprentissage actif d’élèves de cinquième en leur faisant générer des schémas sur tablette numérique. Plus spécifiquement, les études conduites dans cette thèse ont cherché à répondre à deux questions de recherche :

  • QR1 : Quels sont les effets de la génération de schémas sur l’apprentissage à partir de textes scientifiques selon différents types de consignes ou guidages donnés aux élèves (c’est-à-dire, dessiner les éléments du texte~; dessiner les éléments mis en gras dans le texte ; dessiner les éléments issus du texte et d’une illustration fournie) ?
  • QR2 : Quels sont les effets du travail collaboratif entre élèves lors de la génération de schémas sur tablette ?

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Des textes avec illustrations sont souvent présentés pour décrire des phénomènes scientifiques (Ainsworth et al., 2011). De nombreuses études ont montré qu’ils sont plus efficaces pour l’apprentissage des élèves que des textes sans illustrations (voir par exemple, Mayer, 2002). Toutefois, le traitement des textes illustrés peut créer de la complexité pour les apprenant·e·s (Renkl et Scheiter, 2017). Pour réduire ces difficultés, il est proposé aux élèves de générer leur propre illustration à partir d’un texte, ce qui renvoie à l’activité de génération de schémas (Van Meter et Firetto, 2013 ; Van Meter et Garner, 2005).

Toutefois, les études ne montrent pas toujours d’effets positifs de la génération de schémas sur l’apprentissage des élèves (voir par exemple, Fiorella et Zhang, 2018), et les schémas réalisés sont d’assez faible qualité dans la plupart des études (voir par exemple, Schmidgall et al., 2020). Pour faciliter l’activité de génération de schémas, des supports peuvent être fournis (Brod, 2021 ; Fiorella et Zhang, 2018). Toutefois, peu d’études ont examiné les effets de ces différents types de support lors de la génération de schémas sur l’apprentissage (voir par exemple, Schmidgall et al., 2020 ; Van Meter, 2001).

Ces supports prennent différentes formes. Premièrement, ils peuvent prendre la forme de guidages comme des consignes ou du matériel fourni pendant l’activité. Nous faisions l’hypothèse que les élèves qui disposeraient d’un support à la génération de schémas (par exemple une illustration fournie pendant que l’élève dessine pour qu’il ait un modèle) produiraient des schémas de meilleure qualité que les élèves qui dessineraient des schémas sans support. De plus, nous supposions que les élèves qui généraient des schémas auraient de meilleures performances d’apprentissage que les élèves qui ne généraient pas de schémas, uniquement lorsqu’ils bénéficiaient d’un support dans cette tâche.

Deuxièmement, les supports peuvent prendre la forme d’une collaboration entre élèves (voir par exemple, Chi et Wilye, 2014). En effet, le travail collaboratif interviendrait comme un support de la génération de schémas grâce au développement d’une mémoire transactive, au conflit socio-cognitif, aux processus métacognitifs collectifs, etc. Très peu d’études ont, cependant, été réalisées sur le travail collaboratif lors de la génération de schémas (voir Bollen et al., 2015 ; Gijlers et al., 2013 ; Van Dijk et al., 2014). Nous faisions l’hypothèse que les élèves travaillant par groupe produiraient des dessins de meilleure qualité que ceux générant des schémas seuls. De plus, nous supposions que les élèves travaillant en collaboration pour générer des schémas en commun auraient de meilleures performances d’apprentissage que les élèves générant des schémas seuls.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Dans nos études, les élèves travaillaient sur des tablettes numériques avec stylet à partir d’une application qui leur permettait de générer leurs schémas seul ou à plusieurs. Pour co-concevoir cette application, des études d’acceptabilité ont été faites auprès des enseignant·e·s et élèves. Une enquête en ligne auprès de 25 enseignant·e·s de collège a été menée. Elle a permis d’étudier leurs pratiques pédagogiques concernant l’apprentissage de notions scientifiques avec schémas ainsi que l’acceptabilité d’une application de génération de schémas en groupe, développée par l’entreprise Learn&Go et l’INSA/IRISA de Rennes. Cette application était présentée aux enseignant·e·s grâce à une courte vidéo, mais ils ne l’avaient pas utilisée préalablement. Elle permettait à des élèves réparti·e·s en groupe de tracer simultanément leur schéma, en disposant chacun de leur tablette (voir Figure 1). Ainsi, chacun des tracés d’un·e élève était automatiquement retransmis sur la tablette de son ou sa partenaire, et inversement. L’application a également été testée auprès de 42 élèves de quatrième qui généraient une figure en binôme. Après l’utilisation de l’application, leur satisfaction et l’utilité perçue de l’application étaient relevées.

Photo montrant deux élèves utilisant un stylet pour tracer leur schéma sur une tablette.
Figure 1 – Génération de schémas avec l’application développée dans le cadre du projet.

Ensuite, trois expérimentations ont été conduites dans les classes auprès de 250 nouveaux et nouvelles élèves de cinquième répartis dans trois collèges de l’Académie de Renne. Ces études ont impliqué cinq professeurs de Sciences de la Vie et de la Terre. Tous ces élèves travaillaient sur tablettes avec stylet grâce à l’application de génération de schémas développée dans le cadre du projet. Elle leur permettait de construire des dessins seuls ou à plusieurs. Ils travaillaient sur un document traitant de la formation des tsunamis. Le choix de cette thématique et la construction du matériel pédagogique (les textes, les illustrations et les questionnaires associés), ont été fait en collaboration avec des enseignant·e·s de SVT au collège, qui ont également participé aux études avec leurs classes, ainsi qu’un inspecteur de SVT de l’Académie de Rennes. Certains élèves généraient des schémas tandis que d’autres n’en généraient pas. Ceux qui généraient des schémas devaient produire un schéma complexe en termes de nombre d’informations à représenter, avec cinq informations à dessiner, et plusieurs schémas simples, avec maximum deux informations à dessiner. Leur qualité était relevée par les chercheurs, en mesurant la quantité d’informations dessinées ainsi que leur emplacement. La quantité d’informations attendue dans les dessins avait été prédéfinie avec les enseignant·e·s de SVT. Dans la troisième étude, un enseignant de SVT a également évalué la qualité des schémas des élèves, selon ses propres critères (par exemple, les informations dessinées, leurs proportions). Après l’activité, les élèves répondaient à des questions visant à mesurer leur compréhension du document et leur mémorisation des notions scientifiques abordées dans celui-ci.

Pour connaître les effets de certains types de supports ou des consignes lors de la génération de schémas (QR1), deux premières études ont été menées. La première étude a été menée auprès de 101 élèves issus de quatre classes de cinquième. Nous souhaitions : 1) tester les effets de la génération de schémas à partir de textes sur l’apprentissage des élèves, et 2) tester les effets d’un guidage prenant la forme d’illustrations à partir desquelles, en plus des textes, les élèves pouvaient générer leurs schémas.
Ainsi, les collégien·ne·s étaient réparti·e·s dans quatre groupes (voir Figure 2) :

  1. Groupe 1 : Apprentissage à partir d’un texte non-illustré ;
  2. Groupe 2 : Apprentissage à partir d’un texte illustré ;
  3. Groupe 3 : Apprentissage à partir d’un texte non-illustré et génération des schémas par l’élève ;
  4. Groupe 4 : Apprentissage à partir d’un texte non-illustré et génération des schémas par l’élève à partir d’illustrations fournies (guidage).
Image illustrant les quatre groupes de travail. Description détaillée ci-dessous.
Figure 2 – Les quatre groupes de la première étude.

La deuxième étude a été menée auprès de 71 nouveaux et nouvelles collégien·ne·s issus de quatre classes. Une fois encore, notre objectif était double. Nous souhaitions : 1) examiner les effets de la génération de schémas sur l’apprentissage des élèves, et 2) étudier les effets d’un nouveau guidage de la génération de schémas où les informations à générer étaient mises en gras dans le texte.
Les élèves étaient répartis dans trois groupes (voir Figure 3) :

  1. Groupe 1 : Apprentissage à partir d’un texte illustré ;
  2. Groupe 2 : Apprentissage à partir d’un texte non-illustré et génération des schémas par l’élève ;
  3. Groupe 3 : Apprentissage à partir d’un texte non-illustré et génération des informations mises en gras dans le texte par l’élève (nouveau guidage).
Image illustrant les trois groupes de travail. Description détaillée ci-dessous.
Figure 3 – Les trois groupes de la deuxième étude.

Pour examiner les effets du travail collaboratif lors de la génération de schémas (QR2), la troisième étude a été menée auprès de 78 nouveaux et nouvelles collégien·ne·s issu·e·s de quatre classes. L’objectif était de comparer les effets d’une activité individuelle de génération de schémas aux effets d’une activité pendant laquelle les élèves travaillaient en binôme.
Ils étaient répartis dans deux groupes :

  1. Groupe 1 : Génération individuelle de schémas ;
  2. Groupe 2 : Génération de schémas en binôme.

En plus des mesures d’apprentissage et de l’évaluation de la qualité des dessins produits, les interactions estimées des élèves en binômes ont été analysées en les classant dans quatre catégories :

  • Les interactions centrées sur la tâche (par exemple, donner des explications, poser des questions)
  • Les interactions socio-affectives (par exemple, s’encourager, se critiquer)
  • L’absence d’interactions au sein des binômes
  • Les interactions non reliées à la tâche (par exemple, bavardages

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Études d’acceptabilité : Les résultats de l’enquête auprès des enseignant·e·s de collège ont montré que les obstacles perçus dans l’utilisation de l’application de génération de schémas étaient davantage externes (par exemple, gestion du matériel numérique) qu’internes (par exemple, une méfiance vis-à-vis du numérique ou de l’activité de génération de schémas). Cependant, les enseignant·e·s ont trouvé que cette application pouvait améliorer l’apprentissage de leurs élèves et faciliter les travaux de groupe en classe. Les élèves ont, quant-à-eux, été très satisfaits de l’usage de l’application.

Étude 1 : Dans la première étude, nous avons testé les effets d’un guidage de la génération de schémas, sous la forme d’une illustration fournie pendant que les élèves dessinaient (QR1). Les résultats de cette étude ont montré que fournir des illustrations améliorait l’apprentissage des élèves (c’est-à-dire que les élèves qui avaient des illustrations (groupes 2 et 4) ont mieux appris le document que les élèves qui n’avaient pas d’illustrations (groupes 1 et 3)). En revanche, les analyses ont montré que leur demander de générer un schéma n’était pas plus efficace, même avec la présence d’un modèle. La présence de ce modèle a toutefois permis d’améliorer la qualité des schémas produits (c’est-à-dire que les élèves du groupe 4, qui avaient une illustration pour les aider à dessiner, ont créé des schémas de meilleure qualité que les élèves du groupe 3, qui n’avaient pas d’illustrations pour les aider). Il est donc possible que ce guidage n’engage pas suffisamment les élèves dans des traitements actifs de l’information car ils recopieraient simplement l’illustration.

Étude 2 : Dans la seconde étude, nous avons testé les effets d’un guidage, qui prenait la forme d’une mise en gras des informations à dessiner, pour augmenter l’engagement cognitif des élèves dans la tâche de dessin (QR1). Les élèves qui généraient leurs schémas en représentant les informations mises en gras dans le texte (groupe 3) ont produit plus d’éléments dans leur schéma complexe que ceux qui ne disposaient pas de ce guidage (groupe 2). Toutefois, il est intéressant de noter qu’ils n’ont pas réussi à représenter tous les éléments, indiquant qu’ils ont des difficultés dans la représentation visuelle de ces éléments.

Concernant leurs performances, aucune différence entre les groupes n’a été trouvée. L’ajout du guidage (groupe 3) a même eu des effets négatifs car ces élèves ont moins bien mémorisé les informations qui n’étaient pas mises en gras dans le texte. Nos résultats semblent donc indiquer que l’attention des élèves aurait bien été focalisée sur les éléments mis en gras mais aux dépens des autres éléments du texte (effet de traitement ciblé ; voir par exemple Jamet et Michinov, 2022).

Ainsi, pour répondre à notre première question de recherche, le fait de fournir des supports à la génération de schémas, comme une illustration servant de modèle, ou une mise en gras des informations textuelles à dessiner, a permis aux élèves de dessiner des schémas de meilleure qualité. Toutefois, ils ne leur ont pas permis de mieux apprendre le document.

Étude 3 : La troisième étude avait pour objectif de comparer les effets du travail collaboratif lors de la génération de schémas à ceux du travail individuel (QR2). Les résultats de l’étude 3 ont montré que les élèves travaillant en binôme (groupe 2) n’ont pas produit ensemble des schémas de meilleure qualité que les élèves travaillant seuls (groupe 1). Du point de vue de la de la compréhension des éléments du texte, il n’y a pas différence, et les élèves ont même mémorisé plus d’éléments textuels lorsqu’ils travaillaient seuls (groupe 1). L’analyse qualitative des interactions dans les binômes pendant la génération des schémas révèle que plus les élèves avaient des interactions centrées sur la tâche (c’est-à-dire, poser des questions, faire des propositions, donner des explications), mieux ils mémorisaient les éléments du texte. Ces résultats suggèrent la nécessité, dans de futures études, de guider la collaboration des élèves en donnant des consignes incitant aux interactions centrées sur la tâche. En effet, certaines conditions sont nécessaires pour rendre les travaux de groupe efficaces (voir par exemple, Kirschner et al., 2018), et notamment en introduisant des scripts de collaboration pendant la génération de schémas (voir Bollen et al., 2015 ; Gijlers et al., 2013 ; Van Dijk et al., 2014).

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

Plusieurs éléments ressortent de ces différentes études. Premièrement, rendre l’apprenant actif via l’activité de génération de schémas sans support supplémentaire n’est pas efficace pour de jeunes apprenant·e·s, ce qui confirme les conclusions de la méta-analyse récente de Brod (2021). En effet, cette activité ne permet pas aux élèves de mieux mémoriser et de mieux comprendre un document. Ainsi, il semble nécessaire d’aider les apprenant·e·s dans cette tâche générative en leur fournissant des supports adaptés à l’activité de dessin, comme des guidages.

Concernant les supports testés dans nos deux premières études, nos travaux ont permis de montrer que fournir un modèle ou mettre en gras les informations à générer dans le texte sont des guidages qui améliorent la qualité des schémas générés. Toutefois, ils n’ont eu aucun effet positif sur l’apprentissage des élèves. Ainsi, ils peuvent être proposés en classe, mais leurs limites sont à prendre en compte. Les résultats de notre deuxième étude semblent indiquer qu’il est nécessaire d’aider les élèves pendant l’activité générative en leur fournissant des représentations visuelles des informations à générer, comme par exemple, une image de la vague du tsunami ou une image du séisme. D’autres études devront donc être réalisées dans l’avenir pour mieux comprendre comment rendre plus efficace l’activité de génération de schémas pour des élèves aussi jeunes.

Enfin, s’agissant des effets de la génération collaborative de schémas sur les apprentissages, nos résultats incitent à fournir des scripts de collaboration permettant la régulation des interactions sur la tâche (c’est-à-dire, poser des questions, donner des explications). Ces résultats rappellent la nécessité, lorsque les élèves travaillent en groupe, de structurer l’activité avec des instructions aux élèves favorisant le conflit socio-cognitif (c’est-à-dire amener les élèves à confronter leurs idées et à argumenter leurs points de vue sur la tâche (Buchs et al., 2008))

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Algorithmes pour les systèmes de fermeture et leurs représentations

Simon VILMIN

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail prend racine dans la théorie des espaces de connaissances (Doignon et Falmagne, 1985 ; Doignon et Falmagne, 2012 ; Falmagne et Doignon, 2010), à l’intersection de la psychologie mathématique, dont le but est de proposer des modélisations mathématiques des processus cognitifs (entre autres), et de l’informatique. L’objectif principal de la théorie des espaces de connaissances est d’utiliser l’outil informatique pour aider les enseignant(e)s dans le processus d’évaluation des élèves. Plus précisément : pour évaluer les connaissances d’un(e) élève, un(e) enseignant(e) va poser des questions relatives à des problèmes particuliers de la matière en question. Les questions auxquelles l’élève est capable de répondre délimitent l’état actuel de ses connaissances. Maintenant, pourrait-on utiliser l’outil informatique pour assister l’enseignant(e) dans ce processus ? L’élève serait devant un ordinateur qui lui proposerait des questions sélectionnées dans une base de données appropriée. En fonction des réponses de l’élève, l’ordinateur identifierait ensuite l’état de connaissance approprié parmi une liste d’états stockée dans sa mémoire. Le système ALEKS aux États-Unis repose sur ce principe.

La théorie des espaces de connaissances vise à formaliser et mettre en place ce processus. Pour ce faire, il faut d’abord représenter les objectifs pédagogiques d’une matière scolaire par une liste de problèmes (ou items) que les élèves devront in fine maîtriser. Tous les items auxquels un(e) élève est capable de répondre correctement constituent son état de connaissance. Non seulement cet état de connaissance permet de situer les forces et faiblesses de l’élève, mais il devrait également permettre de cibler les prochains items à apprendre. Bien sûr, certains items dépendent d’autres, et donc l’apprentissage ne peut se faire dans n’importe quel ordre. Ce faisant, certains groupes d’items ne peuvent représenter un état de connaissance pertinent. La collection de tous les états de connaissance possibles devient un espace de connaissance quand elle respecte la propriété suivante : l’union de deux états de connaissance est aussi un état (fermeture par union). Cette hypothèse semble arbitraire, mais elle n’est pas insensée : il semble naturel d’estimer que si un élève est dans un état de connaissance A, et une élève dans l’état B, alors les deux peuvent progresser jusqu’à maîtriser tous les items de A et B. Mais surtout, la fermeture par union permet de bénéficier de deux outils mathématiques pour aborder les espaces de connaissances plus efficacement. En effet, l’utilisation de ceux-ci pose, entre autres, deux questions majeures :

  1. comment déterminer avec justesse les états d’un espace de connaissance ?
  2. comment peuvent-ils être stockés dans la mémoire d’un ordinateur ?

Commençons par la première question. Un espace de connaissance pour une matière donnée est une collection d’états de connaissance. Le problème est de savoir déterminer quels sont les états de cet espace. Pour ce faire, il est naturel de se tourner vers les enseignant(e)s, pour prendre en compte leur expertise sur la question. Cependant, demander à des enseignant(e)s de lister un ensemble d’états de connaissance est inapproprié. La propriété de fermeture par union permet d’avoir une approche beaucoup plus intuitive au travers de requêtes, qui sont des questions de la forme « est-il vrai que si un(e) élève ne maîtrise aucun des items 1, 2, 3 et 4, alors il/elle ne pourra pas maîtriser l’item ? ». Mathématiquement on peut résumer cette question sous la forme d’une implication {1, 2, 3, 4} → 5. En utilisant suffisamment de requêtes (auxquelles les réponses sont « oui »), il est possible de représenter n’importe quel espace de connaissance. Cette représentation permet donc d’identifier plus naturellement la composition d’un espace de connaissance, en trouvant les « bonnes » questions/requêtes auprès des professionnel(le)s de l’éducation.

Passons à la deuxième question : la taille d’un espace de connaissance. Un état de connaissance est une collection d’items, et un espace de connaissance est une collection d’états. En conséquence, s’il y a n items pour représenter une matière, l’espace de connaissance correspondant peut contenir jusqu’à 2n états ! Même pour les ordinateurs récents, stocker autant d’informations n’est pas pertinent, quand ça n’est pas impossible. Fort heureusement, la propriété de fermeture par union garantit que seuls certains états sont nécessaires. En effet, il existe une sous-collection d’états unique à chaque espace de connaissance à partir desquels tous l’espace peut être totalement reconstruit. Cette sous-collection s’appelle la base de l’espace, et ses éléments en sont les atomes. C’est une représentation condensée d’un espace de connaissance à partir de laquelle de nombreuses propriétés mathématiques peuvent être identifiées, ce que ne permettent pas forcément les implications.

Nous arrivons finalement aux questions de cette étude. Nous disposons de deux représentations différentes pour un même espace de connaissance : des implications (ou requêtes) et sa base. Les interactions entre ces deux représentations constituent le cœur de ce travail de recherche. Nous nous sommes principalement intéressés aux deux questions suivantes :

  1. comment passer d’une représentation à l’autre ?
  2. comment trouver les états de connaissances satisfaisant des contraintes (ensemblistes) sur les items ?

Dans la section suivante, nous donnons une vision plus fine de ces deux problématiques.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

En remarque préliminaire, il faut observer que les espaces de connaissance sont en fait des structures mieux connues en informatique et mathématique sous le nom de système de fermeture (ou treillis) (Birkhoff, 1940 ; Moore, 1909). Ils apparaissent par exemple dans la logique propositionnelle (Kautz et al., 1993 ; Khardon, 1995 ; Zanuttini, 2015), les bases de données (Demetrovics et al., 1992 ; Mannila et Räihä, 1992), l’analyse formelle de concepts (Ganter et Wille, 2012), la théorie de l’argumentation Dung, 1995, l’optimisation combinatoire (Dietrich, 1987 ; Hirai et Oki, 2018 ; Korte et al., 2012), la théorie du choix social (Koshevoy, 1999 ; Monjardet et Raderanirina, 2001) ou encore quand il s’agit de convexité (discrète) (Edelman et Jamison, 1985 ; Farber et Jamison, 1986 ; Kashiwabara et Nakamura, 2010). Ainsi, l’intérêt des questions que nous étudions est commun à de nombreux domaines, et n’est pas limité à la seule théorie des espaces de connaissance.

Question 1 : comment passer d’une représentation à l’autre ? Ou plus précisément, comment traduire entre les différentes représentations d’un espace de connaissance (système de fermeture/treillis). Dans le contexte des espaces de connaissances, ce problème est surtout utile quand il s’agit de trouver les atomes d’un espace de connaissance depuis un ensemble d’implications qui seraient données par exemple par des enseignant(e)s. Les atomes constituent en général une description plus fidèle, car unique, de l’espace de connaissance correspondant.

Il s’avère que le problème de traduction a suscité beaucoup d’intérêt ces trente dernières années (Adaricheva et Nation, 2017 ; Babin et Kuznetsov, 2013 ; Beaudou et al., 2017 ; Khardon, 1995 ; Mannila et Räihä, 1992 ; Wild, 1995).

Premièrement, il est crucial quand il s’agit d’utiliser la représentation la plus compacte possible. En général, un ensemble d’implications ou l’ensemble des atomes, la base, sont plus concis que l’espace de connaissance lui-même. En revanche, en comparant la taille des représentations l’une à l’autre, il peut arriver que le nombre d’atomes soit exponentiel par rapport au nombre (minimum) d’implications, et vice-versa (Kuznetsov, 2004 ; Mannila et Räihä, 1994). Au delà des frontières des espaces de connaissance, le choix de la représentation impacte la complexité de nombreux problèmes, donnant au problème de traduction un caractère essentiel. Par exemple en base de données, décider si un élément appartient à une clé est difficile si l’on utilise des implications (Lucchesi et Osborn, 1978), mais aisé depuis la base (Bertet et al., 2018). La complexité de reconnaître une classe d’espace de connaissance dépend également du choix de la représentation. En effet, de nombreuses propriétés peuvent être identifiées en un temps raisonnable (polynomial) depuis la base de l’espace : la distributivité (Birkhoff, 1937), la semi-modularité (Stern, 1999), la semi-distributivité ainsi que la sup/inf-distributivité (les géométries convexes) (Beaudou et al., 2017 ; Edelman et Jamison, 1985 ; Habib et Nourine, 2018 ; Nation, 2000), l’extrémalité (Markowsky, 1992), les espaces obtenus par duplication (Bertet et Caspard, 2002). Savoir s’il est possible de reconnaître toutes ces propriétés depuis les implications est un problème ouvert, en particulier pour les géométries convexes et les treillis sup-semi-distributifs. Un autre exemple où le choix de la représentation est prépondérant est celui de l’abduction en logique propositionnelle. Si la tâche peut être menée à bien en temps polynomial depuis les atomes, elle devient beaucoup plus complexe depuis un ensemble d’implications (Kautz et al., 1993).

Question 2 : comment trouver les états de connaissances satisfaisant des contraintes (ensemblistes) sur les items ? Dans le cadre de notre étude, une contrainte est un ensemble d’items, qui n’est pas nécessairement un état de l’espace. Ainsi, une contrainte peut être assimilée à une compétence plus complexe que des items seuls. Un état de connaissance satisfait cette contrainte quand il contient au moins un des items qui la compose. Autrement dit, pour qu’un état soit satisfaisant, il doit contenir au moins un des items présents dans la compétence (contrainte) en question. Si l’état de connaissance d’un(e) élève satisfait toutes les contraintes, alors l’élève a au moins entamé l’apprentissage de toutes les compétences.

Étant donné un espace de connaissance représenté par des implications ou sa base, et une collection de contraintes, nous nous intéressons aux deux problèmes suivants :
P1 trouver les états de connaissances admissibles, c’est-à-dire ceux qui satisfont toutes les contraintes.
P2 parmi les états admissibles, trouver les plus petits possibles, que l’on appelle préférés (les termes admissibles et préférés sont issus du langage de l’argumentation ; voir Dung, (1995) et Dunne et al., (2015)).

Les états préférés sont une représentation compacte de tous les états admissibles, ce qui les rend plus intéressants. D’ailleurs, il est possible que le nombre d’états admissibles soit exponentiel par rapport au nombre d’états préférés. Ce faisant, résoudre le problème P1 ne permet pas de résoudre le problème P2 en un temps raisonnable en général, car il faudrait « jeter » tous les admissibles qui ne sont pas préférés. Par contre, résoudre le problème P2 permet ensuite de résoudre le problème P1 facilement.

Comme pour la traduction, utiliser des contraintes comme nous les avons définies est très commun en informatique (Chepoi, 2012 ; Davey et al., 1975 ; Dunne et al., 2015 ; Mignosi et al., 2002 ; Schäffter, 1997 ; Stork et Uetz, 2005). En général, lister les états admissibles est un problème plus général que celui de lister tous les états de connaissance de l’espace. Ce problème-ci a été très largement étudié dans la littérature (Bordat, 1986 ; Demko et al., 2020 ; Ganter et Wille, 2012 ; Kuznetsov, 1996 ; Kuznetsov et Obiedkov, 2002 ; Nourine et Raynaud, 1999). Lister les états préférés est un problème qui englobe quant à lui la dualisation des hypergraphes (Eiter et Gottlob, 1995 ; Eiter et al., 2008 ; Fredman et Khachiyan, 1996) et plus largement la dualisation des systèmes de fermeture (Babin et Kuznetsov, 2017 ; Defrain et Nourine, 2020). Il apparaît aussi dans des formes restreintes dans de divers domaines de l’informatique. Par exemple, des implications et des contraintes de taille 2 servent à encoder les semi-treillis médians et modulaires (Barthélemy et Constantin, 1993). Ceci sont ensuite utilisés pour les structures événementielles (Chepoi, 2012 ; Nielsen et al., 1981), les complexes cubiques (Ardila et al., 2012), ou pour les fonctions k-sous-modulaires (Hirai et Nakashima, 2020 ; Hirai et Oki, 2018). Dans ce dernier cas, résoudre le problème P2 revient à trouver les minimiseurs maximaux de ces fonctions.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Nos travaux sont de l’ordre du théorique. La méthodologie adoptée peut donc se résumer comme suit. Dans un premier temps, il s’agit de faire les recherches bibliographiques afin d’établir un panorama suffisant de la question à traiter. L’omniprésence des systèmes de fermeture en informatique oblige à se plonger dans différents langages et formalismes afin d’obtenir une connaissance aussi précise que possible. Une fois cet état de l’art effectué, la recherche peut commencer. Un va et vient entre idées et recherches bibliographiques complémentaires s’opère alors jusqu’à l’établissement de résultats mathématiques et algorithmiques nouveaux. La valorisation de ces résultats se concrétise par l’écriture d’articles pour des revues à comité de lecture ou la communication dans des conférences et congrès.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Question 1 : Commençons par le problème de traduction. À ce jour, il est grand ouvert, même dans des espaces de connaissance très restreints. Il est intéressant de noter qu’il est plus difficile que le problème de la dualisation des hypergraphes (Khardon, 1995), pour lequel le meilleur algorithme connu a un temps d’exécution total quasi-polynomial (Fredman et Khachiyan, 1996). On trouvera un acompte détaillé de tous les résultats disponibles dans les revues de littérature (Bertet et al., 2018 ; Wild, 2017). Nous nous sommes particulièrement intéressé au cas où les implications sont dites « acycliques » : s’il y a un « chemin » de l’item 1 vers l’item 2 dans les implications, alors il n’y a pas de chemin de l’item 2 vers l’item 1. Cette hypothèse semble naturelle dans la mesure où elle permet d’éviter à des items d’être mutuellement dépendants les uns des autres. Notre approche ici est de décomposer hiérarchiquement, si possible, un ensemble d’implications par le prisme de partitions appelées splits. Nous déduisons ainsi une caractérisation récursive des atomes du système de fermeture associé. En conséquence, nous obtenons de nouveaux types de systèmes de fermeture (et de géométries convexes) pour lesquels la traduction peut être effectuée en temps total quasi-polynomial au moyen d’un algorithme reposant sur la dualisation des hypergraphes (Fredman et Khachiyan, 1996). Ces résultats ont fait l’objet de communications et d’un article en cours de relecture (Nourine et Vilmin, 2020a ; Nourine et Vilmin, 2020b ; Nourine et Vilmin, 2022). Une autre contribution en amont de ces résultats a mené à une publication dans un journal (Defrain et al., 2021).

En bref : Pour le problème de traduction, nous nous sommes concentrés sur les espaces de connaissances dans lesquels les items ne sont pas mutuellement dépendants. Ces espaces sont intéressants car il semble naturel de faire en sorte qu’au cours de l’apprentissage, il n’y ait pas de « boucle » dans les prérequis des items à maîtriser. Dans ce contexte-là, nous avons proposé un nouvel outil théorique qui nous permet de mieux comprendre la structure de tels espaces, et ce faisant d’améliorer la découverte des atomes si l’on nous donne accès à des implications représentants les dépendances entre items.

Question 2 : Passons à l’énumération des états admissibles et préférés. L’énumération des états admissibles revient en fait à énumérer tous les états de connaissance d’un autre espace. Les représentations de cet espace alternatif peuvent être dérivées très facilement à partir de celles de l’espace initial. Il apparaît donc que le problème P1 est simple à résoudre, et est un corollaire direct de résultats préexistants (Bordat, 1986 ; Demko et al., 2020 ; Ganter et Wille, 2012 ; Kuznetsov, 1996 ; Kuznetsov et Obiedkov, 2002 ; Nourine et Raynaud, 1999). Le problème P2 quant à lui se révèle très vite être équi- valent à la dualisation des systèmes de fermeture. Malheureusement, quelle que soit la représentation choisie (implications/atomes), le problème de dualisation ne peut être résolu en général en temps total polynomial à moins que P = NP (Babin et Kuznetsov, 2017 ; Defrain et Nourine, 2020 ; Kavvadias et al., 2000). Pour cette raison, nous avons restreint notre étude au cas où toutes les contraintes ne contiennent que deux items (des paires d’items). En apparence, cette restriction semble simplifier le problème. Cependant, nous montrons qu’il n’en est rien puisque si des implications sont données, le problème reste impossible à résoudre, même dans les treillis obtenus par duplications de pseudo-intervalles. Aussi, nous prouvons que dans de nombreuses classes d’espace de connaissance généralisant la propriété de distributivité, le problème Q2 restreint reste équivalent à la dualisation dans les classes en question. En particulier, il reste plus difficile à résoudre que le problème de la dualisation des hypergraphes. Ces résultats contrastent avec certains résultats positifs antérieurs (Hirai et Nakashima, 2020 ; Hirai et Oki, 2018 ; Kavvadias et al., 2000) sur les semi-treillis médians et modulaires. D’un autre côté, nous utilisons un algorithme basé sur un paramètre particulier, le nombre de Carathéodory d’un système de fermeture, pour identifier des classes d’espace de connaissance où le problème d’énumération des états préférés par rapport à des contraintes de taille 2 peut être résolu en temps total polynomial. Avec le même algorithme, nous démontrons que cette tâche peut être réalisée en temps total quasi-polynomial dans les treillis modulaires atomiques. Une partie de ces résultats a été présentée dans une conférence internationale à comité de lecture (Nourine et Vilmin, 2021).

En bref : Nous avons cherchés à énumérer les (plus petits) états de connaissances satisfaisant certaines contraintes du type « l’état doit contenir au moins un des items parmi ceux composant telle compétence » (une compétence est juste un ensemble d’items). Nous avons montré que même si les compétences sont seulement des groupes de deux items, énumérer ces états est extrêmement difficile. Cependant, si l’on est capable de borner une propriété des espaces de connaissance, nous parvenons à résoudre ce problème d’énumération en un temps raisonnable dans un certains nombres d’espaces de connaissances particuliers.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

Les dernières décennies ont vu l’informatique s’investir dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. L’éducation et les processus pédagogiques ne sont pas étrangers à ces changements. À ce titre, la théorie des espaces de connaissances est un domaine au carrefour de la psychologie mathématique et de l’informatique qui a pour l’objectif d’évaluer et représenter les connaissances des élèves. Au cœur de cette théorie se trouvent les espaces de connaissances. Ces structures sont équivalentes à des objets combinatoires bien connus : les systèmes de fermeture (ou treillis). Implémenter les espaces de connaissance, comme c’est le cas avec le système ALEKS aux États-Unis, donne naissance à des défis théoriques fascinants, et ce malgré la puissance des ordinateurs actuels.

En effet, les espaces de connaissance souffrent notamment de leur taille, et il faut donc trouver des moyens compacts de les représenter. Dans cette thèse, nous avons étudié deux représentations : des implications ou la base. Plus précisément, nous avons travaillé sur le problème de traduction entre les représentations et sur un problème d’énumération sous contraintes. D’une part, la présence de ces questions dans de nombreux domaines de l’informatique et des mathématiques renforce leur caractère fondamental.

D’autre part, la littérature existante et les recherches que nous avons conduites témoignent de leur complexité. En somme, travailler sur ces questions d’ordre théorique ne permet pas seulement de mieux com- prendre la nature des liens unissant divers langages et objets mathématiques, mais aussi de contribuer à rendre les outils informatiques appliqués à l’éducation plus rapides, plus efficaces, et moins coûteux.

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Évolution des connaissances en calcul mental des élèves du cycle 3 et influence d’une pratique régulière du logiciel « Mathador » sur les apprentissages

Isabelle LUDIER

Niveaux

Cycle 3



Public

Enseignant·e·s cycle 3 ; Enseignant·e·s de mathématiques


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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche s’intéresse aux connaissances des élèves du cycle 3 dans le domaine du calcul mental et aux effets d’une fréquentation régulière (15 minutes par semaine) du logiciel de calcul mental « Mathador » sur celles-ci. En fréquentant ce logiciel, les élèves sont confrontés à des tirages de type « compte est bon » dans lequel ils doivent reconstituer un nombre cible à partir de 5 nombres outils et des 4 opérations. Par exemple (voir Figure 1), il faut reconstituer le nombre cible « 54 » avec les nombres outils « 4 ; 8 ; 1 ; 18 ;11 » ; une solution serait :  (4 – 1) × 18.

Photo d'un enfant qui utilise le logiciel Mathador su rune tablette
Figure 1 – Image d’un exemple du tirage « compte est bon ».

Nous interrogeons les connaissances des élèves au cours d’une année et leur évolution d’un niveau scolaire à un autre. Nous mesurons également les effets qui peuvent être engendrés par l’introduction et la pratique d’un logiciel de calcul mental. Notre problématique se décline en quatre questions précisées dans la section suivante.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Question 1 : Les programmes énoncent les connaissances attendues des élèves en calcul mental mais quelles sont réellement leurs connaissances, et comment ces connaissances évoluent-elles au cours d’une année scolaire et au cours du cycle 3 ?

Les connaissances des élèves sont à de rares exceptions (McIntosh et al., 1997) évaluées de manière statique à un moment de la scolarité. Chesné (2014) a fait un point dans sa thèse sur les connaissances en calcul mental et montré un déficit sur les items ciblant les faits multiplicatifs. Nous questionnons tout d’abord les connaissances des élèves du cycle 3 en calcul mental sur deux aspects~: le premier concerne leur nature et le second, leur mode de mise en fonctionnement (restitution ou adaptation) à un instant donné. Nous interrogeons également l’évolution de ces connaissances au cours d’une année scolaire et au cours du cycle 3.

Question 2 : Comment une pratique régulière du logiciel de calcul mental « Mathador » basé sur un jeu peut influencer cette évolution ? Quelles sont les connaissances en jeu lors de cette pratique ?

Notre hypothèse, découlant de la théorie de la double approche (Robert et Rogalski, 2002) est que les apprentissages des élèves dépendent des tâches qui leur sont dévolues par les enseignants (ou celles qu’ils délèguent, par exemple à un logiciel). Pour répondre à cette question, nous recherchons d’une part, les connaissances des élèves susceptibles d’être activées lors des tâches proposées par le logiciel, et d’autre part, celles qui sont effectivement utilisées par les élèves lors de ces tâches.

Question 3 : Dans quelle mesure les pratiques enseignantes influent-elles sur les effets de cette pratique régulière et donc sur l’évolution des connaissances des élèves concernés ?

Divers travaux, dont ceux de Trouche (2003) et de Grugeon-Allys (2008), montrent l’importance de l’enseignant dans la construction de l’instrument par l’élève. Les connaissances transmises aux élèves correspondent à des connaissances liées au calcul mental et à des connaissances intrinsèques au jeu : certaines sont liées à l’utilisation de l’interface ou aux règles du jeu (ces deux types de connaissances sont propres à cet instrument) et d’autres aux procédures de résolution des tirages (les stratégies s’appuient sur des décompositions du nombre cible et mobilisent des connaissances mathématiques).

Question 4 : Peut-on dégager des pistes permettant d’améliorer un logiciel de type « Mathador » et son utilisation en vue d’enrichir les apprentissages des élèves ?

Les réponses aux premières questions ayant montré les faiblesses du logiciel et de sa prise en main par les enseignants, nous proposons des améliorations en vue de favoriser les apprentissages des élèves.

Pour conclure, notre problématique cible donc les connaissances effectives en calcul mental des élèves, leur évolution au cours du cycle 3 et les effets engendrés par la pratique régulière d’un logiciel. Ces questions sont pertinentes car elles permettent de faire un état des lieux des connaissances des élèves et de leur évolution, mais aussi de prendre en compte les pratiques enseignantes avec un logiciel ludique utilisé dans une finalité d’apprentissage.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Pour répondre à nos questions, nous avons recueilli différents types de données : des données de jeu, des observations (en classe et lors des formations proposées aux enseignants impliqués dans le projet) et des données recueillies à partir de tests.

Les tests proposés aux 251 élèves des classes Mathador et aux 244 élèves des classes témoins comprenaient 87 questions. Les enseignants disposaient d’une feuille de passation très précise. Les mêmes questions sont proposées aux élèves des classes de CM1, de CM2 et de sixième en début et en fin d’année afin d’observer l’évolution sur l’année (au même moment, ce n’est donc pas un suivi longitudinal d’une même cohorte), et l’évolution au cours du cycle 3. Elles permettent également de comparer les évolutions des connaissances des élèves des classes témoins et des élèves des classes Mathador. Pour les élèves des classes Mathador, les connaissances en fin d’année sont dépendantes des connaissances évaluées en début d’année mais aussi des pratiques des enseignants et des connaissances utilisées par les élèves dans le jeu (15 min d’utilisation du logiciel par semaine).

Les connaissances des élèves sont recherchées à partir de data de jeu. Ces data sont composées d’une part, d’une base provenant d’un concours effectué en classe et d’autre part, des data de jeu des années une et deux de l’expérimentation. Ces deux dernières bases de données comprennent plusieurs centaines de milliers de lignes correspondant chacune à la solution d’un tirage par un élève. Nous avons créé des indicateurs à partir de l’analyse a priori des tirages, analyse qui nous a permis de définir les différents types de combinaisons permettant de résoudre les tirages et le niveau de connaissances qu’elles requièrent. Puis, nous avons utilisé ces indicateurs pour analyser les data de jeu.

Pour compléter ces données, les pratiques de neuf enseignants sur deux années — entre 2 et 8 observations par enseignant — sont analysées. Les cadres théoriques mobilisés sont ceux de la double approche (Robert et Rogalski, 2002) et de l’approche instrumentale (Trouche, 2003) en considérant quatre types de séances de calcul mental : les séances sans support Mathador, la première séance d’initiation au logiciel Mathador, les séances régulières avec le logiciel Mathador, et des séances d’intégration du logiciel au projet d’enseignement.

Les formations dispensées aux enseignants impliqués dans le projet ont également été analysées.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Résultats portant sur les connaissances des élèves en calcul mental

Un premier type de résultats, indépendant du logiciel, concerne les connaissances des élèves que nous avons catégorisées par tranches de 20 % de réussite. Par exemple, sur les 87 items composant les tests, 10 sont réussis par plus de 80 % des élèves de CM1. Ils portent sur : les tables d’addition — qu’elles soient interrogées sous forme directe ou par une addition à trou -–,la soustraction d’un nombre inférieur à 5 ou à 10 à un autre nombre, la comparaison de trois produits et la reconnaissance du rôle de « 1 » pour la multiplication. Nous avons également montré un déficit portant sur la restitution des tables de multiplications (moins de 60 % des élèves de sixième sont en mesure de restituer le fait numérique « 6 × 8 = 48 »). De plus, selon les différents items des tests, ce ne sont pas les mêmes élèves qui progressent au cours de l’année~: par exemple pour la multiplication par 20, ce sont des élèves performants qui progressent, alors que pour l’algorithme posé de la multiplication, ce sont des élèves moyens de CM2.

Résultats portant sur le logiciel et sur son utilisation par les élèves

Concernant le jeu, l’analyse a priori de la tâche proposée nous a permis d’obtenir un premier résultat : un tirage peut être résolu de différentes manières et chacune ne requiert pas les mêmes connaissances. De plus, l’objectif du joueur (obtenir un bon score) et l’objectif de l’apprenant ne coïncident pas. Pour un tirage donné, plusieurs chemins de résolution sont possibles dans lesquels les connaissances et la qualité des connaissances qui interviennent sont différentes. L’analyse des données a montré que ce sont les chemins qui utilisent les connaissances les moins riches qui sont privilégiés par les élèves. Nous retrouvons également un effet lié au mode de calcul du score avec le développement de stratégies de surface uniquement destinées à gagner des points. Ces stratégies ne sont pas porteuses de connaissances riches~: elles utilisent principalement la connaissance de la neutralité de « 1 » pour la multiplication et la division. Les décompositions multiplicatives du nombre cible, potentiellement porteuses de connaissances sur les faits numériques multiplicatifs, sont peu utilisées. Nous avons également montré que les valeurs des variables didactiques (nombre cible, nombres outils et relation entre ces nombres) influent sur les chemins privilégiés et l’utilisation de décompositions multiplicatives.

Résultats portant sur les pratiques des enseignants

Lors de l’utilisation du logiciel, trois types de connaissances sont nécessaires : des connaissances portant sur l’outil informatique, des connaissances portant sur le jeu et ses règles et des connaissances mathématiques. L’enseignant doit quant à lui effectuer une double genèse instrumentale (Tapan, 2006) : comme utilisateur et comme enseignant. Cette deuxième genèse est un volet didactique~: proposer des activités aux élèves. Elle est difficile à réaliser en l’absence de formation ou de ressources explicitant les combinaisons (et les connaissances requises) et détaillant certains tirages. En analysant les pratiques observées, nous relevons trois logiques chez les enseignants : une logique fondée sur la croyance dans le numérique, une logique de joueur et une logique d’apprenant. Les deux premières laissent à la charge de l’élève le transfert de ses connaissances dans le cadre du jeu.

Résultats portant sur les effets du logiciel et pistes d’amélioration

En ce qui concerne l’évaluation du jeu, plusieurs points sont à retenir. Tout d’abord, le choix des tâches laissées au logiciel et à l’élève entraine une différenciation passive : les élèves faibles vont choisir des tirages simples et utiliser des connaissances basiques ; des élèves plus performants vont réaliser des tâches différentes requérant des connaissances plus riches. De ceci découlent des apprentissages différents. Nous relevons une progression plus importante pour des élèves « fragiles » sur les soustractions (petits nombres) et une progression sur les divisions pour des élèves performants.

Afin d’améliorer le logiciel dans un objectif d’apprentissage, nous proposons un changement de mode de calcul du score ; nous envisageons la possibilité de créer des itinéraires cognitifs paramétrables par l’enseignant (pour qu’il puisse choisir le type de combinaison à utiliser lors des tirages) et proposons un accompagnement en direction des enseignants.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Nous retenons l’idée d’un déficit dans l’apprentissage en calcul mental portant sur les automatismes multiplicatifs. Les travaux de Butlen (2007) ont par ailleurs montré l’impact de ces automatismes sur l’utilisation de procédures de calcul économiques (qui libèrent de l’espace mental). Il est nécessaire de sensibiliser les enseignants à l’importance de cette mémorisation.
  • Sans accompagnement adapté par le professeur, ce logiciel engendre une différenciation passive, tous les élèves ne progressant pas de la même manière et sur les mêmes connaissances. Il nous semble important que le choix des connaissances à travailler reste à la charge de l’enseignant (qui devrait pouvoir choisir le parcours de l’élève dans le jeu) et ne soit dévolu ni à l’élève, ni à l’aléatoire d’un logiciel.
  • La création d’un logiciel de type « Mathador », intégrant un autre mode de calcul du score et dans lequel des itinéraires cognitifs sont prévus, serait souhaitable.
  • La formation évoquée dans ce travail de recherche (dans laquelle nous proposons entre autres, 7 tirages permettant de rencontrer tous les types de combinaisons pour résoudre les tirages ainsi que le degré de connaissances nécessaires à l’utilisation de ces combinaisons) a été proposée à des enseignants. Nous avons sollicité leur coopération pour des recherches ultérieures avec une utilisation de tirages permettant aux élèves d’utiliser des décompositions multiplicatives du nombre cible de manière plus importante.

Références

Butlen, D. (2007). Le calcul mental entre sens et technique : recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, du calcul mental à la résolution de problèmes numériques. Presses Univ. Franche-Comté.

Chesné, J. – F. (2014). D’une évaluation à l’autre : des acquis des élèves sur les nombres en sixième à l’élaboration et à l’analyse d’une formation d’enseignants centrée sur le calcul mental [thèse
de doctorat, Université Paris 7–Denis Diderot, Paris, France]. https://theses.hal.science/tel-
01081505

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Tapan, M. S. (2006). Différents types de savoirs mis en œuvre dans la formation initiale d’enseignants de mathématiques à l’intégration de technologies de géométrie dynamique [thèse de doctorat, Université Joseph-Fourier-Grenoble I, Grenoble, France]. https://theses.hal.science/tel-00133569

Trouche, L. (2003). Construction et conduite des instruments dans les apprentissages mathématiques : nécessité des orchestrations [habilitation à diriger des recherches, Université Paris VII, Paris, France]. https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=f80c250bb0832ff649cdfb322a1a88e2ef01b474

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Thèses

L’efficacité de la méthode en classe puzzle sur les apprentissages en mathématiques

Mathilde RIANT

Niveaux

Première et Terminale professionnelles


Public

Enseignant·e·s en lycée professionnel ; Enseignant·e·s de mathématiques

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Action/Projet associé(e)

Ressource(s) associée(s)

À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche s’intéresse à l’efficacité de l’apprentissage coopératif en classe puzzle sur les apprentissages en mathématiques des élèves de lycée professionnel. La méthode en classe puzzle est une méthode d’apprentissage coopératif qui structure fortement l’interdépendance positive entre les élèves et leur responsabilité individuelle dans le travail en groupe. Elle consiste à répartir les ressources d’une activité équitablement entre les élèves qui sont membres du groupe (Aronson et Patnoe, 2011). Chaque élève travaille sur une ressource individuellement et pendant leur travail en groupe, ils s’enseignent mutuellement les ressources et les regroupent pour remplir l’objectif commun. Dans ce travail de recherche, deux questions principales sont posées :

(1) Dans quelles mesures la méthode en classe puzzle impacte la motivation, l’autorégulation et les performances en mathématiques des élèves ?

(2) Quels facteurs permettent d’améliorer l’efficacité de cette méthode ? Ici, deux facteurs de modération sont étudiés : la fidélité d’implantation de la méthode puzzle dans les classes et le niveau initial en mathématiques des élèves.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Question 1 : D’après Slavin (2014), en permettant aux élèves d’avoir une responsabilité individuelle dans le travail en groupe et d’être interdépendants de manière positive, la méthode en classe puzzle peut avoir un effet bénéfique sur les apprentissages scolaires des élèves et cet impact transiterait par une motivation accrue et plus d’élaboration cognitive. Mais, les preuves empiriques de l’efficacité de cette méthode sur la cognition des élèves comme leur autorégulation sont rares (Sanaie et al., 2019) et celles sur la motivation des élèves sont contradictoires (Berger et Hänze, 2009 ; Roseth et al., 2019 ; Sanaie et al., 2019). De plus, l’efficacité de la méthode en classe puzzle sur les performances scolaires des élèves n’est pas clairement établie (Berger et Hänze, 2009 ; Roseth et al., 2019) et les études empiriques ayant suivies de grandes cohortes de participants dans ce contexte à long terme sont peu fréquentes.

Question 2 : Le premier facteur questionné ici est celui du niveau scolaire des élèves. Si apporter leur contribution au travail en groupe peut davantage motiver tous les élèves, même les plus faibles, et augmenter leurs efforts à apprendre (Slavin, 2014), travailler sur des contenus complexes en classe puzzle peut aussi mettre en difficulté les élèves avec un faible niveau scolaire (Deiglmayr et Schalk, 2015). Le second facteur étudié est lié à l’un des problèmes majeurs dans les recherches à grande échelle : celui d’assurer une bonne fidélité d’implantation des interventions en classe. Alors qu’une bonne fidélité peut améliorer l’efficacité d’une intervention, une mauvaise fidélité peut la réduire (Galand et Délisse, 2021).

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

L’expérimentation a été réalisée sur 5 226 lycéens de 108 lycées professionnels. Elle a débuté en septembre 2017, au début de l’année de première et elle s’est terminée en juin 2019, à la fin de l’année de terminale. Les élèves proviennent de trois filières professionnelles : la filière « Soins à la personne », la filière « Électricité », et la filière « Commerce ». Pour l’expérimentation ProFAN, ils ont été répartis dans trois conditions d’apprentissage :

  1. Une condition dans laquelle les élèves ont travaillé avec la méthode en classe puzzle (n = 1 793). Les élèves étaient d’abord affectés à un groupe de travail, puis chaque élève travaillait individuellement sur une ressource nécessaire à l’activité du groupe. Ensuite, ils se regroupaient et échangeaient avec les élèves de la classe qui avaient travaillé individuellement sur la même ressource. Après cet échange, ils retournaient dans leur groupe de travail et ils s’enseignaient mutuellement les ressources nécessaires pour mener l’activité commune.
  2. Une condition dans laquelle les élèves ont travaillé en coopération peu structurée (n = 1 768). Ici, ils travaillaient sur une activité en groupe, mais les ressources n’étaient pas réparties entre les élèves.
  3. Une condition dans laquelle les élèves ont appris de manière habituelle (n = 1 665). Les enseignants organisaient pédagogiquement les séquences comme ils le souhaitaient.

Pendant les deux années scolaires, les élèves ont mené quatre séquences d’apprentissage en mathématiques dans l’une des trois conditions. Ces séquences étaient coconstruites par les chercheurs et des professionnels (c’est-à-dire, inspecteurs généraux de l’éducation nationale, enseignants) engagés dans l’expérimentation ProFAN. Chaque séquence durait entre 5 et 10 heures. La première séquence portait sur les statistiques à une variable, la deuxième portait sur les équations du second degré, la troisième portait sur l’extremum d’une fonction polynomiale et la quatrième portait sur la fonction logarithme décimal.

Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons mesuré la motivation autonome en mathématiques et l’autorégulation à trois temps (avant, pendant et après l’expérimentation). Les performances en mathématiques des élèves étaient mesurées au bout de 5 mois après le début de l’expérimentation (après la séquence 1), puis un an plus tard (après la séquence 3).

  1. La motivation autonome en mathématiques a été mesurée à partir d’une traduction française de l’Academic Self-Regulation Questionnaire (Ryan et Connell, 1989). Pour les quatre énoncés du questionnaire, les élèves ont répondu à l’intitulé suivant : « Quand on fait des mathématiques en classe, je travaille parce que… », par exemple, « j’aime bien ce qui m’est demandé », « je veux apprendre de nouvelles choses ». Les élèves répondaient sur une échelle allant de 1 « pas du tout d’accord » à 7 « tout à fait d’accord ».
  2. L’autorégulation a été mesurée à partir d’une mesure inspirée du questionnaire Motivated Strategies for Learning Questionnaire (Pintrich et al., 1991). L’échelle comprend neuf énoncés qui font référence à l’autonomie des élèves dans le travail, au contrôle de leurs efforts pour apprendre et à leurs stratégies d’organisation (par exemple, « je me concentre quand je fais un exercice à l’école », « je m’organise pour finir mon travail à temps », « j’évite le plus souvent de me laisser distraire par les autres »). Ils répondaient sur une échelle allant de 1 « pas du tout d’accord » à 7 « tout à fait d’accord ».
  3. Les performances en mathématiques ont été évaluées individuellement et nous avons sélectionné dans ce travail de recherche la performance des élèves évaluée après la première séquence d’apprentissage et celle évaluée après la troisième séquence. Les scores allaient de 0 à 10.

Nous avons également mesuré les deux facteurs pouvant modérer les effets de la classe puzzle : la fidélité d’implémentation de la méthode dans les classes et le niveau en mathématiques des élèves.

  1. La fidélité d’implémentation est mesurée à partir d’entretiens menés avec les référents des établissements (par exemple, enseignants ou inspecteurs) qui avaient pour mission de veiller au bon déroulement de l’expérimentation dans les établissements. Ils accompagnaient notamment les enseignants. Nous avons récolté des informations sur le déroulement pédagogique et technique des séquences dans les classes et plus largement dans les établissements pendant les deux années scolaires.
  2. Le niveau initial en mathématiques des élèves a été recueilli par questionnaire avant le début des séquences d’apprentissage. Les élèves rapportaient leur moyenne obtenue en mathématiques à la fin de la dernière année scolaire précédant le début de l’expérimentation. Un score de 0 indique une moyenne allant de 0 à 4,9 ; 1 une moyenne entre 5 et 8,9 ; 2 une moyenne entre 9 et 12,9 ; 3 une moyenne allant de 13 à 15,9 et 4 à une moyenne allant de 16 à 20.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Question de recherche 1 : Les résultats de cette recherche montrent que durant la première séquence d’apprentissage, les élèves qui ont travaillé avec la méthode en classe puzzle n’ont pas mieux réussi en mathématiques que les autres élèves. Ils sont toutefois meilleurs que les élèves qui ont travaillé de manière habituelle un an après (c’est-à-dire, après la séquence 3). L’effet est très faible et indique que les conditions d’apprentissage expliquent très peu la variabilité des performances en mathématiques observées. Nos résultats montrent aussi que durant les deux années scolaires, que les élèves aient travaillé avec la méthode en classe puzzle, en coopération peu structurée ou de manière habituelle, la motivation en mathématiques ainsi que l’autorégulation des élèves décroissent de manière identique. Aucune différence entre les conditions d’apprentissage n’est constatée.

Question de recherche 2 : Les résultats quant à l’impact des facteurs qui modèrent l’efficacité de la méthode en classe puzzle sont plus hétérogènes.

  1. Les résultats révèlent que lorsque la méthode en classe puzzle est bien ou moyennement bien implantée dans les classes, elle n’est pas plus efficace pour augmenter la motivation et l’autorégulation des élèves. Toutefois, lorsqu’elle est bien implantée, la méthode en classe puzzle a des effets bénéfiques sur la performance des élèves de séquence 1 en comparaison à un apprentissage habituel, mais pas sur celle de séquence 3. Ces résultats ne nous permettent pas de conclure définitivement quant à l’efficacité de la méthode en classe puzzle lorsqu’elle est bien implantée.
  2. Les résultats indiquent aussi que les élèves de faible niveau en mathématiques et qui ont travaillé avec la méthode en classe puzzle ou en coopération peu structurée sont moins motivés et rapportent moins d’autorégulation dans le temps que les élèves de faible niveau qui ont travaillé de manière habituelle. Il apparait donc que la méthode en classe puzzle n’a pas été bénéfique aux élèves les plus faibles. Quelle que soit la condition d’apprentissage, aucune différence de motivation et d’autorégulation n’est observée pour les élèves à niveau moyen et élevé. On ne retrouve toutefois pas les mêmes résultats sur les performances des élèves en mathématiques. Aucune différence de performance entre les trois conditions d’apprentissage et selon le niveau initial en mathématiques des élèves n’est constatée.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • L’apprentissage coopératif en classe puzzle peut être efficace si on veut augmenter les performances des élèves en mathématiques, à condition de l’implanter à long terme dans les classes. Une bonne fidélité d’implantation de la méthode en classe puzzle peut également être propice à plus d’efficacité, en tout cas, sur les performances en mathématiques des élèves. Cela signifie que les étapes d’apprentissage de la méthode en classe puzzle doivent être correctement suivies.
  • Toutefois, nos résultats invitent à la prudence quant à l’utilisation de la méthode en classe puzzle, a fortiori si elle est utilisée pour réduire les écarts entre les élèves faibles et forts. Cela dépend des objectifs que l’on poursuit en mobilisant une telle méthode. Selon Deigleymar et Schalk (2015), la méthode en classe puzzle peut être efficace pour les élèves faibles, si elle est choisie pour faire apprendre des concepts faciles ou déjà amorcés.

Références

Aronson, E., et Patnoe, S. (2011). Cooperation In the Classroom : The Jigsaw Methode (3e éd.). London : Pinter & Martin.

Berger, R., et Hänze, M. (2009). Comparison of two small-group learning methods in 12th-grade physics classes focusing on intrinsic motivation and academic performance. International Journal of Science Education, 31(11), 1511-1527. https://doi.org/10.1080/09500690802116289

Deiglmayr, A., et Schalk, L. (2015). Weak versus strong knowledge interdependence : A comparison of two rationales for distributing information among learners in collaborative learning settings. Learning and Instruction, 40, 69-78. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2015.08.003

Galand, B., et Janosz, M. (2020). Améliorer les pratiques en éducation : qu’en dit la recherche ?
Pintrich, P. R., Smith, D. A., Garcia, T., et McKeachie, W. J. (1991). A manual for the use of the Motivated Strategies for Learning Questionnaire (MSLQ). ERIC.

Roseth, C. J., Lee, Y.-k., et Saltarelli, W. A. (2019). Reconsidering jigsaw social psychology : Longitudinal effects on social interdependence, sociocognitive conflict regulation, motivation, and
achievement. Journal of Educational Psychology, 111(1), 149. https://doi.org/10.1037/edu0000257

Ryan, R. M., et Connell, J. P. (1989). Perceived locus of causality and internalization : examining reasons for acting in two domains. Journal of Personality and Social Psychology, 57(5), 749.

Sanaie, N., Vasli, P., Sedighi, L., et Sadeghi, B. (2019). Comparing the effect of lecture and Jigsaw teaching strategies on the nursing students’ self-regulated learning and academic motivation : A quasi-experimental study. Nurse Education Today, 79, 35-40. https://doi.org/10.1016/j.nedt.2019.05.022

Slavin, R. E. (2014). Cooperative Learning and Academic Achievement : Why Does Groupwork Work ?.[Aprendizaje cooperativo y rendimiento académico : ¿ por qué funciona el trabajo en grupo ?] Anales de psicologıa/Annals of Psychology, 30(3), 785-791. https://doi.org/10.6018/analesps.30.3.201201

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Thèses

Utiliser l’apprentissage coopératif pour faciliter l’apprentissage chez les élèves en difficulté

Eva VIVES

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche s’intéresse à la méthode Jigsaw, une forme de pédagogie active qui a gagné en popularité depuis son développement au début des années 80 (Aronson et Patnoe, 2011 ; Aronson et al., 1978). Avec Jigsaw, les élèves forment des petits groupes afin de travailler ensemble sur des informations complémentaires (interdépendance des ressources). La classe Jigsaw se déroule en trois étapes (voir Figure 1). Premièrement, les élèves forment les groupes « jigsaw » et une partie du cours (texte, corpus, exercices) est assignée par l’enseignant à chacun des élèves d’un groupe de travail. Deuxièmement, les élèves forment les groupes « d’experts », afin d’échanger et d’approfondir la portion du matériel pédagogique dont ils sont responsables. Troisièmement, les « experts » retrouvent leurs groupes de départ (jigsaw), et vont transmettre aux autres leurs connaissances (et apprendre des autres !). Jigsaw permet ainsi de structurer le travail de groupe en classe.

Alors que la littérature scientifique sur la méthode Jigsaw semble foisonnante, plusieurs questions restent en suspens : 1) Quels sont les effets de la méthode Jigsaw sur les comportements scolaires et comment l’utiliser en classe ? 2) La méthode Jigsaw bénéficie-t-elle à certains profils d’élèves et si oui, lesquels ?

Pour répondre à ces questions, une revue systématique de la littérature synthétisant quarante ans de travaux a été réalisée, afin de qualifier les effets de Jigsaw sur les apprentissages scolaires. Face au manque de données empiriques vis-à-vis des mécanismes explicatifs des effets de Jigsaw, deux études de terrain ont permis d’évaluer le rôle de deux facteurs clefs dans les apprentissages, les buts d’accomplissement de soi (auprès d’une population d’élèves de lycées professionnels) et la capacité en mémoire de travail (auprès d’étudiants de l’université).

Illustration des étapes de la classe Jigsaw. Description détaillée ci-dessous.
Figure 1 – Déroulé de la classe Jigsaw. Chaque cercle représente un groupe d’élèves et chaque couleur représente un élève.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

QUESTION 1 : Quels sont à ce jour les effets connus de la méthode Jigsaw sur les comportements scolaires et comment l’utiliser en classe ? Fortement valorisée dans les milieux académiques et scolaires, Jigsaw est fréquemment présentée comme une transition réussie entre le monde de la recherche et le monde de l’éducation. Pourtant, la faible quantité et parfois la moindre qualité des travaux empiriques allant dans le sens des résultats princeps (voir Aronson et al., 1978), nous ont poussé à interroger les conditions d’efficacité de cette méthode ainsi que ses mécanismes cognitifs et psychosociaux sous-jacents. Bien qu’un grand nombre de travaux ait montré les avantages de Jigsaw sur les performances scolaires des élèves, ses effets sur les apprentissages ne sont pas clairs, plusieurs études faisant état de résultats nuls, voire parfois contradictoires au sein de la même discipline (par exemple en mathématiques). Comme pointé par de nombreux chercheurs (Roseth et al., 2019 ; Stanczak et al., 2022), la littérature scientifique portant sur Jigsaw présente de nombreux problèmes méthodologiques (par exemple, non équivalence des conditions contrôle et expérimentale, non-respect de la procédure Jigsaw, petites tailles d’échantillon) qui sèment le trouble sur la validité des résultats observés par les auteurs. Il était donc nécessaire de réaliser une synthèse critique de l’ensemble des travaux réalisés depuis 1978. Dans une revue systématique de la littérature, nous avons abordé ces contradictions, en analysant d’une part les effets de Jigsaw sur les apprentissages et les performances scolaires dans différentes disciplines (sciences, langues et littérature, professionnelles), d’autre part sur un ensemble de variables psychosociales mesurant les motivations, les perceptions de soi et les attitudes en contexte scolaire.

QUESTION 2 : La classe Jigsaw bénéficie-t-elle à certains profils d’élèves et si oui, lesquels ? De manière générale, les conditions d’application du travail coopératif en classe sont aujourd’hui étayées et plusieurs facteurs, comme la taille du groupe, la complexité de la tâche, ou encore les habiletés de l’apprenant à coopérer ont été identifiés comme des éléments facilitateurs du travail en groupe (Kirschner et al., 2018). Concernant la classe Jigsaw, peu de travaux se sont intéressés aux caractéristiques personnelles des élèves. Pourtant il est admis que certaines caractéristiques individuelles de l’élève (par exemple, sa motivation, ses capacités cognitives) jouent un rôle fondamental dans les apprentissages. Afin de mieux comprendre les effets de la méthode Jigsaw sur les performances scolaires des élèves (et de contribuer à clarifier notre question 1), nous avons mis à l’épreuve, dans le cadre de deux études expérimentales, deux facteurs clefs des apprentissages scolaires, les buts d’accomplissement de soi (Étude 1) et la mémoire de travail (Étude 2).

La théorie des buts d’accomplissement de soi occupe en effet une place centrale dans la recherche sur la motivation des élèves en milieu scolaire et académique (Scherrer et al., 2020). Les buts d’accomplissement sont une forme cognitive et dynamique de motivation à accomplir une tâche, qui établissent un cadre pour comprendre la façon dont les élèves pensent, se sentent et se comportent dans le cadre scolaire (Scherrer et al., 2020). Par ailleurs, ces buts diffèrent fondamentalement de la motivation intrinsèque d’un élève, puisqu’ils intègrent une dimension sociale. Habituellement, quatre buts sont distingués par les auteurs : le but de maîtrise-approche (recherche de progrès et de maîtrise de la tâche par rapport à ses propres réussites passées), le but de performance-approche (motivation à être meilleur que les autres), le but de performance évitement (éviter de montrer son incompétence vis-à-vis d’autrui) et le but de maîtrise-évitement (éviter de se tromper ou de faire moins bien que précédemment). Les buts qu’adoptent les étudiants peuvent avoir des conséquences sur leurs comportements scolaires, leur motivation intrinsèque et leurs relations interpersonnelles. Alors que les buts de maîtrise-approche et de performance-approche constituent deux formes de motivation prédictives de la réussite scolaire, le but de performance-évitement constitue une motivation à éviter de démontrer son incompétence face à autrui, et est généralement associée à de l’anxiété et à une peur de l’échec, mais pas à la réussite scolaire. Enfin, une relation nulle (voire négative), est habituellement observée entre le but de maîtrise-évitement et les résultats scolaires.

La mémoire de travail est une fonction cognitive qui permet, dans un intervalle de temps limité, de stocker et de manipuler activement de l’information lors de la réalisation d’une tâche (Unsworth et al., 2009). Elle s’apparente à un espace de travail (ou un bureau mental) dans lequel les informations en provenance de notre environnement immédiat vont être perçues puis traitées. Elle permet de réfléchir et de comprendre tout en faisant appel aux connaissances antérieures, qui sont ancrées en mémoire à long terme. En ce sens, la mémoire de travail est indispensable aux apprentissages scolaires, puisqu’elle permet par exemple d’accéder au sens d’une phrase pendant l’activité de lecture ou de maintenir activement la retenue dans une addition. De nombreux travaux ont montré que les capacités en mémoire de travail sont fortement corrélées avec la réussite académique et l’intelligence fluide. La mémoire de travail joue en effet un rôle critique lors des apprentissages scolaires, notamment en mathématiques et pour le langage écrit (lecture, compréhension). Les élèves qui présentent le plus de difficultés dans ces disciplines sont souvent ceux qui ne réussissent pas les tâches d’empan complexes (outil de mesure privilégié de la capacité en mémoire de travail).

Pour résumer, nous nous sommes intéressés à l’évaluation des effets de la méthode Jigsaw sur les apprentissages scolaires, à la fois d’un point de vue théorique, en réalisant une synthèse critique de plus d’une centaine de travaux empiriques (1978-2018), puis d’un point de vue expérimental (deux études), en étudiant le rôle joué par deux caractéristiques liées aux apprenants. Nous pensons qu’en fonction du niveau motivationnel des élèves (qualifié par les buts d’accomplissement) et de leurs capacités en mémoire de travail, il sera possible d’observer des effets différenciés de la méthode Jigsaw sur les performances scolaires. Plus précisément nous nous attendons à ce que la classe Jigsaw puisse avoir un effet bénéfique chez les élèves présentant de plus faibles motivations et disposant de faibles capacités en mémoire de travail. Des résultats antérieurs ont en effet montré comment Jigsaw pouvait favoriser les apprentissages d’élèves en difficulté scolaire (Huang et al., 2014 ; van Dijk et al., 2020) ou issus de minorités ethniques (aux USA, Lucker et al., 1976).

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Pour la conduite de notre revue systématique, nous avons utilisé les recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses). Premièrement, nous avons identifié et enregistré tous les articles scientifiques relatifs à notre question de recherche, à partir de plusieurs bases de données (Web of Science, Science-Direct, PsycInfo, ERIC, Google Scholar). Deuxièmement nous avons sélectionné les articles, supprimé les doublons, et enregistré les références. Troisièmement nous avons vérifié l’éligibilité des articles après une lecture intégrale du texte. Enfin nous avons statué sur l’inclusion ou l’exclusion des articles sélectionnés. Au total, 69 études ont pu être intégrées à la revue de la littérature (Vives et al., 2023, publication à venir).

ÉTUDE 1. Afin de répondre à notre seconde question de recherche, nous avons analysé les données collectées sur la plateforme ProFAN (plateforme numérique de pilotage), chez les élèves de trois filières professionnelles (ASSP, MELEC et Commerce), en classes de première et terminale. Ces élèves ont été répartis de façon randomisée dans l’une des trois conditions expérimentales : méthode collaborative Jigsaw (interdépendance des ressources), méthode collaborative sans interdépendance, méthode traditionnelle (format à la discrétion des enseignantes et enseignants). Les réponses issues du questionnaire ProFAN, qui permettait de mesurer plusieurs dimensions du fonctionnement socio-émotionnel des élèves, ainsi que les notes sur les évaluations en mathématiques ont été utilisées. Au total, les données de 2 377 élèves ont été intégrées à nos analyses.

L’échelle des buts d’accomplissement validée en Français par Darnon et Butera (2005) a été utilisée afin de mesurer les quatre buts. Les élèves répondaient sur des échelles de Likert, allant de 1 (pas du tout vrai pour moi) à 7 (très vrai pour moi). Les résultats obtenus sur l’évaluation de mathématiques au premier trimestre de l’année 2017 ont été analysés. Cette évaluation portait sur l’ensemble des contenus de la séquence pédagogique « Statistique à une variable » et le score global sur cette évaluation – allant de 0 (très insuffisant) à 10 (très bien), a été retenu pour la conduite de nos analyses.

ÉTUDE 2. Enfin, nous avons réalisé une étude expérimentale à l’Université (342 étudiants de première année) dans le cadre d’un cours introductif au raisonnement critique et aux arguments fallacieux. Douze classes ont participé à l’étude, et les étudiants ont travaillé en groupes : soit de manière structurée et avec l’interdépendance des ressources (Jigsaw), soit de manière non structurée et sans interdépendance (contrôle). Une tâche d’empan complexe spatial (Unsworth et al., 2009) a été utilisée afin de mesurer la mémoire de travail des élèves. Les connaissances des élèves sur le cours (arguments fallacieux) étaient ensuite évaluées grâce à un QCM (10 questions).

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Notre revue de la littérature a permis de mettre en évidence plusieurs éléments de réponse quant à l’efficacité de la méthode Jigsaw. Sur les 69 études incluses, la classe Jigsaw présente des effets mixtes, avec au total 63 % d’effets bénéfiques sur les performances scolaires. Ces effets varient en fonction du contenu pédagogique :

  • 76 % d’effets bénéfiques dans les matières littéraires et les sciences sociales
  • 58 % dans les matières scientifiques
  • 50 % dans les matières professionnalisantes

Concernant les aspects socio-affectifs, la méthode semble améliorer la motivation intrinsèque et le sentiment d’auto-efficacité des élèves (c’est-à-dire, la perception que se fait un individu de ses propres capacités à réaliser une tâche). La quasi-totalité des études incluses montre également une satisfaction des élèves à travailler avec la méthode Jigsaw. En revanche, des effets contrastés sur l’estime de soi et sur les relations inter-groupes ont été observés.

Bien que la méthode Jigsaw présente des intérêts théoriques et pédagogiques forts, la littérature scientifique mobilisée a dévoilé un ensemble de travaux empiriques dont les résultats sur les performances scolaires et sur les dimensions socio-émotionnelles sont disparates. En outre, un grand nombre d’études présente des failles sur les plans méthodologique et statistique. Qui plus est, l’investigation de mécanismes psychologiques sous-jacents à la réussite avec Jigsaw, constitue une question subsidiaire à ces travaux, dont les objectifs reflètent une recherche davantage axée sur les résultats que sur les mécanismes. Ce dernier point conforte la nécessité de conduire des travaux pouvant concourir à identifier sous quelles conditions et par quels mécanismes la méthode Jigsaw peut avoir des effets bénéfiques sur les performances scolaires des élèves, afin de clarifier les effets (discordants) observés dans la littérature. Les résultats de nos deux études vont d’ailleurs dans ce sens.

ÉTUDE 1. Chez les élèves de lycées professionnels, nous avons observé un profil avec une dominante forte sur le but de performance-évitement, un niveau élevé de maitrise-évitement, et un but de performance-approche faible. Le but de maitrise-approche est élevé, bien qu’en deçà des normes francophones (Darnon et Butera, 2005). Ce pattern, fortement marqué par le but de performance-évitement est inhabituel chez les adolescents de cette tranche d’âge et constitue un profil motivationnel atypique vis-à-vis de la littérature sur les buts d’accomplissement de soi.
Les résultats de nos analyses révèlent aussi que chez les élèves les plus faiblement motivés à la performance, l’interdépendance des ressources (classe Jigsaw) présente un effet bénéfique sur les notes en mathématiques, et ce pour les trois filières de formation. Les élèves ayant initialement les plus faibles niveaux sur le but de performance-approche, ont en effet mieux réussi le test de mathématiques quand l’enseignement a été réalisé avec Jigsaw tout au long du trimestre, en comparaison aux élèves du groupe coopératif sans interdépendance des ressources. En dépit d’un moteur motivationnel faible (performance-approche) pour assurer des réussites sur le plan académique, ces élèves avaient tiré un avantage de l’apprentissage en coopération structurée. De plus, il convient de noter que les résultats des élèves les plus orientés par le but de performance-approche n’étaient pas affectés par l’intervention Jigsaw, suggérant que la méthode n’a pas eu d’effet délétère sur la réussite des plus motivés par la compétition. Le travail coopératif Jigsaw semble ainsi jouer un rôle bénéfique chez des élèves qui présentent une fragilité dans les apprentissages, leur permettant de rehausser leurs résultats académiques.

ÉTUDE 2. Bien que Jigsaw ne présente pas d’effet direct sur les performances à la tâche de raisonnement critique, un effet d’interaction entre les capacités en mémoire de travail et le contexte d’apprentissage a été observé sur la performance individuelle, en faveur des étudiants disposant des plus faibles capacités en mémoire de travail. Apprendre avec Jigsaw a permis à ces étudiants de réussir la tâche de raisonnement aussi bien que les étudiants qui présentaient des capacités en mémoire de travail plus élevées, mais également, mieux que les élèves du groupe contrôle – à capacités en mémoire de travail équivalente. Notre étude a également permis de clarifier le rôle des deux groupes de travail (expert et jigsaw) qui structurent la méthode Jigsaw, et de montrer comment le groupe d’experts contribue (fortement) à un meilleur apprentissage du matériel pédagogique. Ces résultats attestent que notre étude apporte une réelle contribution empirique à la « boite noire » de l’apprentissage Jigsaw, ainsi que des pistes de travail prometteuses pour les enseignants désireux d’appliquer la méthode Jigsaw dans leurs classes.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Bien que nos résultats n’aient pas contribué à montrer un effet direct de l’apprentissage Jigsaw sur l’évolution des buts d’accomplissement, introduire le travail coopératif en classe reste une piste prometteuse pour améliorer les perceptions de soi en milieu scolaire. Dans ce sens, favoriser le développement d’attitudes pro-coopératives chez des élèves ou étudiants en situation d’apprentissage, peut être bénéfique afin d’encourager à la fois une orientation vers les buts de maitrise mais aussi un meilleur sentiment d’auto-efficacité.
  • Cet ensemble de résultats illustre la nécessité de structurer les informations et le contenu pédagogique lors des travaux de groupe, pour que des élèves présentant des difficultés dans les apprentissages tirent profit de cette organisation, sans que cela ne vienne impacter la réussite des bons élèves. Ce résultat conforte par ailleurs les résultats de travaux précédents ayant montré que Jigsaw pouvait améliorer la performance scolaire de certains élèves uniquement : les élèves de faible niveau scolaire (Deiglmayr et Schalk, 2015 ; Huang et al., 2014) et les élèves issus de minorités ethniques aux États-Unis (Lucker et al., 1976). La méthode Jigsaw présente donc un potentiel pour établir une certaine équité au sein de la classe. Ce type de scénario pédagogique peut être bénéfique sur les apprentissages des élèves qui présentent des difficultés scolaires, à défaut de présenter un effet direct sur les performances du plus grand nombre.
  • Jigsaw offre une alternative pertinente au travail de groupe habituellement réalisé sans structuration et sans interdépendance des ressources. Jigsaw peut donc être utilisé par les enseignantes et enseignants en classe pour travailler un cours, structurer une séance de révision, sans aucune prétention sur l’amélioration des performances scolaires.

Références

Aronson, E., et Patnoe, S. (2011). Cooperation In the Classroom : The Jigsaw Methode (3e éd.). London : Pinter & Martin.

Aronson, E., Blaney, N., Stephan, C., Sikes, J., et Snapp, M. (1978). The Jigsaw Classroom. SAGE : Los Angeles, CA, USA.

Darnon, B., et Butera, F. (2005). Buts d’accomplissement, stratégies d’étude, et motivation intrinsèque : présentation d’un domaine de recherche et validation française de l’échelle d’Elliot et McGregor (2001). L’année psychologique, 105(1), 105-131. https://doi.org/10.3406/psy.2005.3821

Deiglmayr, A., et Schalk, L. (2015). Weak versus strong knowledge interdependence : A comparison of two rationales for distributing information among learners in collaborative learning settings. Learning and Instruction, 40, 69-78. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2015.08.003

Huang, Y. -M., Liao, Y.-W., Huang, S.- H., et Chen, H. -C. (2014). Jigsaw-based cooperative learning approach to improve learning outcomes for mobile situated learning. Journal of Educational Technology & Society, 17(1), 128-140.

Kirschner, P. A., Sweller, J., Kirschner, F., et Zambrano R, J. (2018). From cognitive load theory to collaborative cognitive load theory. International Journal of Computer-Supported Collaborative Learning, 13, 213-233. https://doi.org/10.1007/s11412-018-9277-y

Lucker, G. W., Rosenfield, D., Sikes, J., et Aronson, E. (1976). Performance in the interdependent classroom : A field study. American Educational Research Journal, 13(2), 115-123. https://doi.org/10.3102/00028312013002115

Roseth, C. J., Lee, Y.-k., et Saltarelli, W. A. (2019). Reconsidering jigsaw social psychology : Longitudinal effects on social interdependence, sociocognitive conflict regulation, motivation, and achievement. Journal of Educational Psychology, 111(1), 149. https://doi.org/10.1037/edu0000257

Scherrer, V., Preckel, F., Schmidt, I., et Elliot, A. J. (2020). Development of achievement goals and their relation to academic interest and achievement in adolescence : A review of the literature and two longitudinal studies. Developmental Psychology, 56(4), 795. https://doi.org/10.1037/dev0000898

Stanczak, A., Darnon, C., Robert, A., Demolliens, M., Sanrey, C., Bressoux, P., Huguet, P., Buchs, C., et Butera, F. (2022). Do jigsaw classrooms improve learning outcomes ? Five experiments and an internal meta-analysis. Journal of Educational Psychology, 114(6), 1461. https://doi.org/10.1037/edu0000730

Unsworth, N., Redick, T. S., Heitz, R. P., Broadway, J. M., et Engle, R. W. (2009). Complex working memory span tasks and higher-order cognition : A latent-variable analysis of the relationship between processing and storage. Memory, 17(6), 635-654. https://doi.org/10.1080/09658210902998047

van Dijk, A. M., Eysink, T. H., et de Jong, T. (2020). Supporting cooperative dialogue in heterogeneous groups in elementary education. Small Group Research, 51(4), 464-491. https://doi.org/10.1177/1046496419879978

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Projet TRIANGLE

Travailler avec les Rétroactions Intelligentes d’une Application Numérique de Géométrie pour L’engagement des Elèves

Projet e-FRAN associé

Enjeux : les enquêtes internationales récentes (TIMSS, 2019) démontrent que les technologies numériques restent encore peu utilisées dans le domaine des mathématiques et de la géométrie, disciplines pour lesquelles les élèves éprouvent encore aujourd’hui des difficultés non négligeables. Pourtant de nombreuses études montrent que l’usage des technologies éducatives en mathématiques peut entrainer une augmentation des performances des élèves.

Objectifs : l’objectif du projet TRIANGLE est de consolider l’application IntuiGéo (système tutoriel intelligent pour l’aide à l’apprentissage de la géométrie sur tablette avec stylet) en améliorant l’impact des feedbacks de correction et de guidage, notamment par l’ajout d’un agent pédagogique virtuel. Il s’agira également d’approfondir nos connaissances sur les effets de ce type d’assistance sur la performance et l’engagement des élèves. Enfin, en termes d’essaimage, des études d’évaluations seront réalisés sur deux académies. Des formations de formateurs et d’enseignants y seront mises en place. Le déploiement d’une version gratuite multiplateforme dans les établissements qui le souhaitent est prévue à la fin du projet.

Partenariat : le consortium est constitué d’une équipe de recherche en informatique (Intuidoc/IRISA, Rennes), d’une équipe de recherche en psychologie et ergonomie des apprentissages (LP3C, Rennes), de deux INSPE dans deux académies (Rennes et Poitiers).

Dispositifs et mise en œuvre : dans le cadre du précédent projet ACTIF, l’application de géométrie IntuiGéo basée sur l’intelligence artificielle a été développée et évaluée dans les classes. Cette application s’appuie sur une analyse en temps réel des tracés réalisés par l’élève au stylet sur une tablette.
Cette analyse permet de fournir des feedbacks personnalisés à l’élève pendant qu’il réalise la figure (ex. une erreur d’angle par rapport à la consigne est indiquée en rouge sur la figure dès que cet angle est dessiné). Elle permet également, si nécessaire, de fournir de manière personnalisée des guidages sur les étapes à réaliser ultérieurement (ex. « utilise le compas pour dessiner les cercles respectivement de centre B et de rayon… »).
Un mode auteur intuitif a également été développé. Il permet à l’enseignant d’ajouter des exercices en construisant simplement un exemple de résolution d’un problème sur l’interface. C’est ce qui permet au système tutoriel de synthétiser l’ensemble des stratégies de résolution du problème à partir de la solution proposée par l’enseignant et de superviser ensuite les actions de l’élève quelle que soit la stratégie adoptée.
Au cours des deux années du projet, des études de terrain seront réalisées dans les classes dans le but d’évaluer expérimentalement les nouvelles fonctionnalités de l’application. Nous prévoyons notamment l’ajout d’un agent pédagogique virtuel dont le rôle sera d’enrichir les feedbacks et guidages personnalisés en temps réel pendant la réalisation des exercices. Nous nous appuierons sur les études récentes à propos des agents pédagogiques basés sur l’intelligence artificielle et sur les résultats du projet ACTIF concernant le rôle des feedbacks émotionnels à partir d’émoticônes graphiques sur l’engagement des élèves dans l’apprentissage. Résultats attendus : l’enjeu est d’aboutir à un logiciel consolidé, complètement opérationnel, qui puisse être utilisé dans des enseignements (Cycles 3 et 4). Les effets de l’application seront évalués tant au niveau de la performance (transfert à de nouveaux exercices, y compris sur papier) mais aussi sur l’intérêt des élèves pour la géométrie et leur engagement affectif, cognitif, et comportemental dans les exercices et la discipline. Au terme des deux années du projet nous envisageons de distribuer aux établissements qui le souhaiteraient une version gratuite de la solution IntuiGéo en France afin de valoriser les travaux qui ont été effectués dans le projet e-FRAN.

Établissement coordinateur :
Université Rennes 2

Durée du projet :
24 mois

Montant subvention :
598 K€

Partenaires :
Institut National des Sciences Appliquées de Rennes
INSPE de l’Académie de Poitiers-Université de Poitiers
Académie de Rennes
Académie de Poitiers

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Projet TRANS3

Trois applications pour les apprentissages fondamentaux : TRANSmission de connaissances, TRANSfert labo-école, TRANSformations des pratiques

Projet e-FRAN associé

L’enjeu général est l’amélioration des apprentissages fondamentaux à l’école élémentaire que sont la lecture et l’anglais oral. Les objectifs du projet TRANS3 sont 1) de finaliser le développement des applications créées et évaluées dans le cadre du projet FLUENCE pour qu’elles soient résolument adaptées à l’usage en classe ; 2) de permettre qu’elles soient diffusées largement et de façon pérenne dans les écoles francophones, y compris celles des départements d’outremer comme la Guyane et Mayotte ; 3) de favoriser et accompagner leur utilisation en classe par la création de guides pédagogiques, de formations et de ressources complémentaires pour les enseignants ; 4) de tester leur utilisabilité/acceptabilité dans les classes, ainsi que l’impact de leur utilisation sur les progrès des élèves et sur les pratiques pédagogiques des enseignants ; 5) de consolider les connaissances scientifiques associées à ces outils et de les diffuser à large échelle dans le monde enseignant, afin d’ancrer l’évolution des pratiques pédagogiques sur des cadres théoriques et des données scientifiques solides.

Ces objectifs ambitieux seront rendus possibles grâce à la poursuite de la collaboration de l’ensemble des auteurs des applications FLUENCE avec de nouveaux partenaires universitaires, mais aussi avec l’inclusion au consortium d’un éditeur numérique (HumansMatter) et d’un éditeur scolaire (les Éditions Hatier), ayant chacun une solide expérience dans leur domaine d’expertise et résolus à collaborer pour atteindre ces objectifs. Ils participeront à la création des outils, en assureront la promotion et la diffusion à large échelle et au-delà du projet, selon un modèle économique transparent pour l’ensemble des acteurs. L’engagement des rectorats de Grenoble, Mayotte et Guyane garantit la participation de ces territoires académiques pour l’évaluation des impacts liés à l’usage des applications. Ce projet s’insérera dans le cadre favorable du pôle pilote Pégase (financement PIA3, pôle pilote de formation des enseignants et de recherche pour l’éducation). La première année sera essentiellement consacrée à la co-construction, avec quelques enseignants utilisateurs-testeurs intégrés à l’équipe, de l’ensemble des outils nécessaires : la version 1 des applications, l’interface enseignant, les ressources complémentaires et les contenus et supports de formation. L’année 2 permettra de tester l’efficacité et l’utilisabilité de ces outils dans un ensemble d’écoles diversifiées, de continuer à les ajuster au mieux à la pratique et d’affiner les moyens de diffusion. Les recherches scientifiques amorcées dans FLUENCE se poursuivront aussi pendant tout le temps du projet et seront valorisées dans des publications et formations à destination des enseignants. L’utilisation large des 3 applications dans les écoles francophones devrait participer à l’amélioration des pratiques de différenciation pédagogique et des capacités de lecture et d’anglais des élèves.

Établissement coordinateur :
Université Grenoble Alpes

Durée du projet :
24 mois

Montant subvention :
2 316 K€

Partenaires :
Rectorat de Grenoble
Rectorat de Mayotte
Rectorat de Guyane
INSA de Lyon
Humans Matter
Les Éditions Hatier