Évolution des connaissances en calcul mental des élèves du cycle 3 et influence d’une pratique régulière du logiciel « Mathador » sur les apprentissages

Isabelle LUDIER

Niveaux

Cycle 3



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Enseignant·e·s cycle 3 ; Enseignant·e·s de mathématiques


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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Ce travail de recherche s’intéresse aux connaissances des élèves du cycle 3 dans le domaine du calcul mental et aux effets d’une fréquentation régulière (15 minutes par semaine) du logiciel de calcul mental « Mathador » sur celles-ci. En fréquentant ce logiciel, les élèves sont confrontés à des tirages de type « compte est bon » dans lequel ils doivent reconstituer un nombre cible à partir de 5 nombres outils et des 4 opérations. Par exemple (voir Figure 1), il faut reconstituer le nombre cible « 54 » avec les nombres outils « 4 ; 8 ; 1 ; 18 ;11 » ; une solution serait :  (4 – 1) × 18.

Photo d'un enfant qui utilise le logiciel Mathador su rune tablette
Figure 1 – Image d’un exemple du tirage « compte est bon ».

Nous interrogeons les connaissances des élèves au cours d’une année et leur évolution d’un niveau scolaire à un autre. Nous mesurons également les effets qui peuvent être engendrés par l’introduction et la pratique d’un logiciel de calcul mental. Notre problématique se décline en quatre questions précisées dans la section suivante.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Question 1 : Les programmes énoncent les connaissances attendues des élèves en calcul mental mais quelles sont réellement leurs connaissances, et comment ces connaissances évoluent-elles au cours d’une année scolaire et au cours du cycle 3 ?

Les connaissances des élèves sont à de rares exceptions (McIntosh et al., 1997) évaluées de manière statique à un moment de la scolarité. Chesné (2014) a fait un point dans sa thèse sur les connaissances en calcul mental et montré un déficit sur les items ciblant les faits multiplicatifs. Nous questionnons tout d’abord les connaissances des élèves du cycle 3 en calcul mental sur deux aspects~: le premier concerne leur nature et le second, leur mode de mise en fonctionnement (restitution ou adaptation) à un instant donné. Nous interrogeons également l’évolution de ces connaissances au cours d’une année scolaire et au cours du cycle 3.

Question 2 : Comment une pratique régulière du logiciel de calcul mental « Mathador » basé sur un jeu peut influencer cette évolution ? Quelles sont les connaissances en jeu lors de cette pratique ?

Notre hypothèse, découlant de la théorie de la double approche (Robert et Rogalski, 2002) est que les apprentissages des élèves dépendent des tâches qui leur sont dévolues par les enseignants (ou celles qu’ils délèguent, par exemple à un logiciel). Pour répondre à cette question, nous recherchons d’une part, les connaissances des élèves susceptibles d’être activées lors des tâches proposées par le logiciel, et d’autre part, celles qui sont effectivement utilisées par les élèves lors de ces tâches.

Question 3 : Dans quelle mesure les pratiques enseignantes influent-elles sur les effets de cette pratique régulière et donc sur l’évolution des connaissances des élèves concernés ?

Divers travaux, dont ceux de Trouche (2003) et de Grugeon-Allys (2008), montrent l’importance de l’enseignant dans la construction de l’instrument par l’élève. Les connaissances transmises aux élèves correspondent à des connaissances liées au calcul mental et à des connaissances intrinsèques au jeu : certaines sont liées à l’utilisation de l’interface ou aux règles du jeu (ces deux types de connaissances sont propres à cet instrument) et d’autres aux procédures de résolution des tirages (les stratégies s’appuient sur des décompositions du nombre cible et mobilisent des connaissances mathématiques).

Question 4 : Peut-on dégager des pistes permettant d’améliorer un logiciel de type « Mathador » et son utilisation en vue d’enrichir les apprentissages des élèves ?

Les réponses aux premières questions ayant montré les faiblesses du logiciel et de sa prise en main par les enseignants, nous proposons des améliorations en vue de favoriser les apprentissages des élèves.

Pour conclure, notre problématique cible donc les connaissances effectives en calcul mental des élèves, leur évolution au cours du cycle 3 et les effets engendrés par la pratique régulière d’un logiciel. Ces questions sont pertinentes car elles permettent de faire un état des lieux des connaissances des élèves et de leur évolution, mais aussi de prendre en compte les pratiques enseignantes avec un logiciel ludique utilisé dans une finalité d’apprentissage.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Pour répondre à nos questions, nous avons recueilli différents types de données : des données de jeu, des observations (en classe et lors des formations proposées aux enseignants impliqués dans le projet) et des données recueillies à partir de tests.

Les tests proposés aux 251 élèves des classes Mathador et aux 244 élèves des classes témoins comprenaient 87 questions. Les enseignants disposaient d’une feuille de passation très précise. Les mêmes questions sont proposées aux élèves des classes de CM1, de CM2 et de sixième en début et en fin d’année afin d’observer l’évolution sur l’année (au même moment, ce n’est donc pas un suivi longitudinal d’une même cohorte), et l’évolution au cours du cycle 3. Elles permettent également de comparer les évolutions des connaissances des élèves des classes témoins et des élèves des classes Mathador. Pour les élèves des classes Mathador, les connaissances en fin d’année sont dépendantes des connaissances évaluées en début d’année mais aussi des pratiques des enseignants et des connaissances utilisées par les élèves dans le jeu (15 min d’utilisation du logiciel par semaine).

Les connaissances des élèves sont recherchées à partir de data de jeu. Ces data sont composées d’une part, d’une base provenant d’un concours effectué en classe et d’autre part, des data de jeu des années une et deux de l’expérimentation. Ces deux dernières bases de données comprennent plusieurs centaines de milliers de lignes correspondant chacune à la solution d’un tirage par un élève. Nous avons créé des indicateurs à partir de l’analyse a priori des tirages, analyse qui nous a permis de définir les différents types de combinaisons permettant de résoudre les tirages et le niveau de connaissances qu’elles requièrent. Puis, nous avons utilisé ces indicateurs pour analyser les data de jeu.

Pour compléter ces données, les pratiques de neuf enseignants sur deux années — entre 2 et 8 observations par enseignant — sont analysées. Les cadres théoriques mobilisés sont ceux de la double approche (Robert et Rogalski, 2002) et de l’approche instrumentale (Trouche, 2003) en considérant quatre types de séances de calcul mental : les séances sans support Mathador, la première séance d’initiation au logiciel Mathador, les séances régulières avec le logiciel Mathador, et des séances d’intégration du logiciel au projet d’enseignement.

Les formations dispensées aux enseignants impliqués dans le projet ont également été analysées.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Résultats portant sur les connaissances des élèves en calcul mental

Un premier type de résultats, indépendant du logiciel, concerne les connaissances des élèves que nous avons catégorisées par tranches de 20 % de réussite. Par exemple, sur les 87 items composant les tests, 10 sont réussis par plus de 80 % des élèves de CM1. Ils portent sur : les tables d’addition — qu’elles soient interrogées sous forme directe ou par une addition à trou -–,la soustraction d’un nombre inférieur à 5 ou à 10 à un autre nombre, la comparaison de trois produits et la reconnaissance du rôle de « 1 » pour la multiplication. Nous avons également montré un déficit portant sur la restitution des tables de multiplications (moins de 60 % des élèves de sixième sont en mesure de restituer le fait numérique « 6 × 8 = 48 »). De plus, selon les différents items des tests, ce ne sont pas les mêmes élèves qui progressent au cours de l’année~: par exemple pour la multiplication par 20, ce sont des élèves performants qui progressent, alors que pour l’algorithme posé de la multiplication, ce sont des élèves moyens de CM2.

Résultats portant sur le logiciel et sur son utilisation par les élèves

Concernant le jeu, l’analyse a priori de la tâche proposée nous a permis d’obtenir un premier résultat : un tirage peut être résolu de différentes manières et chacune ne requiert pas les mêmes connaissances. De plus, l’objectif du joueur (obtenir un bon score) et l’objectif de l’apprenant ne coïncident pas. Pour un tirage donné, plusieurs chemins de résolution sont possibles dans lesquels les connaissances et la qualité des connaissances qui interviennent sont différentes. L’analyse des données a montré que ce sont les chemins qui utilisent les connaissances les moins riches qui sont privilégiés par les élèves. Nous retrouvons également un effet lié au mode de calcul du score avec le développement de stratégies de surface uniquement destinées à gagner des points. Ces stratégies ne sont pas porteuses de connaissances riches~: elles utilisent principalement la connaissance de la neutralité de « 1 » pour la multiplication et la division. Les décompositions multiplicatives du nombre cible, potentiellement porteuses de connaissances sur les faits numériques multiplicatifs, sont peu utilisées. Nous avons également montré que les valeurs des variables didactiques (nombre cible, nombres outils et relation entre ces nombres) influent sur les chemins privilégiés et l’utilisation de décompositions multiplicatives.

Résultats portant sur les pratiques des enseignants

Lors de l’utilisation du logiciel, trois types de connaissances sont nécessaires : des connaissances portant sur l’outil informatique, des connaissances portant sur le jeu et ses règles et des connaissances mathématiques. L’enseignant doit quant à lui effectuer une double genèse instrumentale (Tapan, 2006) : comme utilisateur et comme enseignant. Cette deuxième genèse est un volet didactique~: proposer des activités aux élèves. Elle est difficile à réaliser en l’absence de formation ou de ressources explicitant les combinaisons (et les connaissances requises) et détaillant certains tirages. En analysant les pratiques observées, nous relevons trois logiques chez les enseignants : une logique fondée sur la croyance dans le numérique, une logique de joueur et une logique d’apprenant. Les deux premières laissent à la charge de l’élève le transfert de ses connaissances dans le cadre du jeu.

Résultats portant sur les effets du logiciel et pistes d’amélioration

En ce qui concerne l’évaluation du jeu, plusieurs points sont à retenir. Tout d’abord, le choix des tâches laissées au logiciel et à l’élève entraine une différenciation passive : les élèves faibles vont choisir des tirages simples et utiliser des connaissances basiques ; des élèves plus performants vont réaliser des tâches différentes requérant des connaissances plus riches. De ceci découlent des apprentissages différents. Nous relevons une progression plus importante pour des élèves « fragiles » sur les soustractions (petits nombres) et une progression sur les divisions pour des élèves performants.

Afin d’améliorer le logiciel dans un objectif d’apprentissage, nous proposons un changement de mode de calcul du score ; nous envisageons la possibilité de créer des itinéraires cognitifs paramétrables par l’enseignant (pour qu’il puisse choisir le type de combinaison à utiliser lors des tirages) et proposons un accompagnement en direction des enseignants.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Nous retenons l’idée d’un déficit dans l’apprentissage en calcul mental portant sur les automatismes multiplicatifs. Les travaux de Butlen (2007) ont par ailleurs montré l’impact de ces automatismes sur l’utilisation de procédures de calcul économiques (qui libèrent de l’espace mental). Il est nécessaire de sensibiliser les enseignants à l’importance de cette mémorisation.
  • Sans accompagnement adapté par le professeur, ce logiciel engendre une différenciation passive, tous les élèves ne progressant pas de la même manière et sur les mêmes connaissances. Il nous semble important que le choix des connaissances à travailler reste à la charge de l’enseignant (qui devrait pouvoir choisir le parcours de l’élève dans le jeu) et ne soit dévolu ni à l’élève, ni à l’aléatoire d’un logiciel.
  • La création d’un logiciel de type « Mathador », intégrant un autre mode de calcul du score et dans lequel des itinéraires cognitifs sont prévus, serait souhaitable.
  • La formation évoquée dans ce travail de recherche (dans laquelle nous proposons entre autres, 7 tirages permettant de rencontrer tous les types de combinaisons pour résoudre les tirages ainsi que le degré de connaissances nécessaires à l’utilisation de ces combinaisons) a été proposée à des enseignants. Nous avons sollicité leur coopération pour des recherches ultérieures avec une utilisation de tirages permettant aux élèves d’utiliser des décompositions multiplicatives du nombre cible de manière plus importante.

Références

Butlen, D. (2007). Le calcul mental entre sens et technique : recherches sur l’enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté, du calcul mental à la résolution de problèmes numériques. Presses Univ. Franche-Comté.

Chesné, J. – F. (2014). D’une évaluation à l’autre : des acquis des élèves sur les nombres en sixième à l’élaboration et à l’analyse d’une formation d’enseignants centrée sur le calcul mental [thèse
de doctorat, Université Paris 7–Denis Diderot, Paris, France]. https://theses.hal.science/tel-
01081505

Grugeon-Allys, B. (2008). Pratiques d’intégration d’un logiciel de géométrie dynamique à l’école élémentaire. Carrefours de l’éducation, (1), 75-90. https://doi.org/10.3917/cdle.025.0075

McIntosh, A., Reys, B., Reys, R., Bana, J., et Farrell, B. (1997). Number sense in school mathematics : Student performance in four countries. Mathematics, Science & Technology Education Centre, Edith Cowan University.

Robert, A., et Rogalski, J. (2002). Le système complexe et cohérent des pratiques des enseignants
de mathématiques : une double approche. Canadian Journal of Math, Science & Technology
Education, 2
(4), 505-528. https://doi.org/10.1080/14926150209556538

Tapan, M. S. (2006). Différents types de savoirs mis en œuvre dans la formation initiale d’enseignants de mathématiques à l’intégration de technologies de géométrie dynamique [thèse de doctorat, Université Joseph-Fourier-Grenoble I, Grenoble, France]. https://theses.hal.science/tel-00133569

Trouche, L. (2003). Construction et conduite des instruments dans les apprentissages mathématiques : nécessité des orchestrations [habilitation à diriger des recherches, Université Paris VII, Paris, France]. https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=f80c250bb0832ff649cdfb322a1a88e2ef01b474

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