Étude des conditions de viabilité d’une approche basée sur l’algorithmique et la programmation pour l’apprentissage de la division euclidienne à l’école primaire

Rosamaria CRISCI

Niveaux

CM1/CM2

 

 

 

Public

Enseignant·e·s d’élémentaire

 

 

 

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

L’objectif de notre recherche est de contribuer à l’étude des conditions de viabilité d’une approche basée sur l’algorithmique et la programmation pour l’enseignement et l’apprentissage de notions ma- thématiques à l’école primaire. Il s’agit d’un sujet novateur et important dans le contexte institutionnel national et international. En effet, les programmes scolaires ministériels demandent, depuis 2016, une initiation à la programmation dès l’école primaire. Nous nous inscrivons dans le cadre du projet EXPIRE (EXpérimenter la Pensée Informatique pour la Réussite de Elèves) retenu en réponse à l’appel e-FRAN. Les questions auxquelles notre étude tente de répondre sont : est-il possible de concevoir des séquences d’enseignement/apprentissage de notions mathématiques à l’école primaire fondées sur une dimension algorithmique ? Ce type de séquences est-il viable dans le curriculum de l’école primaire française ? Comment les enseignants s’approprient-ils ces séquences ?

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Question 1 : est-il possible de concevoir des séquences d’enseignement/apprentissage de notions mathé- matiques à l’école primaire fondées sur une dimension algorithmique ?
À partir des années 80 la recherche nationale et internationale en didactique des mathématiques s’intéresse aux problématiques liées à l’introduction de l’algorithmique et de la programmation informa- tique à tous niveaux scolaires. Plusieurs travaux, comme ceux de Bideault (1985), Noss (1986), Sutherland (1989), Bertrand (1990) ou Temperman et al., (2014) ont essayé de comprendre si des activités basées sur la programmation (en Logo) permettent de développer chez les élèves des capacités particulières en mathématiques, avec des résultats discordants. Notre proposition diffère de ces travaux en ce que nous ne souhaitons pas créer une activité purement basée sur l’algorithmique, activité qui par ailleurs provoquerait un transfert d’apprentissages en mathématiques. Nous utilisons l’algorithmique dans le cadre de séquences didactiques en mathématiques. Elle est intégrée dans les procédures de résolution, et sert de vecteur d’apprentissage des notions mathématiques visées.

Question 2 : ce type de séquences est-il viable dans le curriculum de l’école primaire française ? 
L’informatique ne constitue pas une discipline au sein de l’école primaire française. Pour cette raison nous proposons d’intégrer une initiation à l’algorithmique/programmation dans l’enseignement des mathématiques. Les séquences d’enseignement sont centrées sur des notions mathématiques très importantes (par exemple la division euclidienne, la décomposition additive des nombres et les fractions). La dimension algorithmique n’a pas la priorité sur la dimension mathématique. Pour faire en sorte que ce type de séquences puisse vivre dans le curriculum, il est cependant nécessaire de vérifier que la dimension algorithmique n’induit pas une perte d’apprentissage en mathématiques.

Question 3 : comment les enseignants s’approprient-ils ces séquences ?
L’introduction de l’algorithmique/programmation à l’école primaire constitue une nouveauté pour les enseignants, dont la plupart n’a pas eu une formation scientifique leur permettant de maîtriser  ce sujet. Comme pour toute séquence, les enseignants ont un certain degré de liberté dans la mise  en œuvre de ces séquences, selon leurs pratiques habituelles et les conditions et contraintes de leurs classes. Il est donc important de déterminer les conditions et les contraintes influant sur le processus de mise en œuvre de ce type de séquences par les enseignants.

En conclusion, avec notre recherche nous souhaitons contribuer à l’étude des conditions de viabilité d’une approche basée sur l’algorithmique et la programmation pour l’apprentissage des mathématiques à l’école primaire. Si une telle approche est viable, alors elle pourrait constituer une réponse à la demande institutionnelle issue du Ministère de l’Éducation Nationale française d’initier les élèves du cycle 3 à la programmation informatique sans introduire une nouvelle discipline. Cette problématique est d’actualité dans le contexte national et international. Pour l’aborder, nous avons examiné le cas des séquences d’enseignement des mathématiques basées sur l’utilisation du logiciel de programmation visuelle Scratch conçues dans le cadre du projet EXPIRE. Nous avons choisi d’évaluer, en particulier, la séquence portant sur le sens de la division euclidienne.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Une étude préalable aux expérimentations nous a permis de répondre à la Question 1, en réalisant une modélisation théorique des séquences tenant compte des rôles des deux dimensions, algorithmique et mathématique. Lors de la première année d’expérimentation (2017/2018), le projet a vu la participation de 109 classes de CM1/CM2 du département de l’Isère avec 2 598 élèves. Pour répondre à la question concernant la viabilité des séquences dans le curriculum (Question 2), nous avons constitué deux groupes de classes : un groupe expérimental (qui a testé les séquences EXPIRE) et un groupe contrôle (qui parallèlement a travaillé avec des séquences traditionnelles sur les mêmes notions mathématiques). Nous avons fait passer des tests aux élèves avant et après chaque séquence. À partir de la deuxième année d’expérimentation, les enseignants étaient autonomes et libérés des contraintes expérimentales du projet. Afin de répondre à la Question 3, nous avons alors assisté à la mise en place de la séquence Scratch sur la division euclidienne par cinq enseignants expérimentés.

Une modélisation des séquences construite grâce aux outils de la Théorie Anthropologique du Didactique (Chevallard, 1999) et du cadre T4TEL (Chaachoua, 2018) a permis de concevoir les tests de mathématiques utilisés pour répondre à la Question 2. Cette modélisation proposée a également permis d’élaborer une grille d’analyse pour comprendre les pratiques des enseignants (Question 3).

La séquence EXPIRE sur la division euclidienne a été élaborée à partir d’une situation didactique « classique » fondée sur la manipulation, assez diffusée dans les pratiques existantes des enseignants. Sa transposition dans l’environnement Scratch a demandé un travail pluridisciplinaire impliquant didacticiens et informaticiens. Pour concevoir les tests, nous avons identifié les types de tâches mathématiques qui doivent émerger au sein de la séquence. Les tâches dans le post-test correspondent à celles du pré-test, avec un simple changement de contexte. Pour le recueil des données relatives à ces tests, nous avons conçu une grille de codage, dans laquelle nous avons indiqué comment coder le type de réponse (réponse juste, erreur de calcul, erreur dans le diviseur, erreur due à une mauvaise gestion du reste de la division, etc.) et le type de technique mobilisée (division posée, schéma, etc.). L’ensemble des données a été traité de façon exploratoire à travers des analyses en composantes principales et des régressions logistiques pour essayer de comprendre si les séquences Scratch présentent un risque de perte d’apprentissage en mathématiques par rapport à des séquences classiques (Question 2).

Afin de déterminer les conditions et les contraintes influant sur la mise en œuvre des séquences (Question 3) nous avons observé cinq enseignants volontaires durant l’année 2018/2019. Nous avons recueilli plusieurs types de données : les enregistrements audios du discours de l’enseignant, les enregistrements vidéos de l’activité de classe et les notes prises durant les séances observées. Nous avons également recueilli des informations d’entretiens informels avec les professeurs avant et après la passation de la séquence en classe. Un premier traitement de ces données a concerné la transcription des informations qui nous intéressaient sur un fichier Excel. Grâce à cette transcription et à nos grilles d’analyse, nous avons pu réaliser des analyses qualitatives et quantitatives des pratiques enseignantes. Nous avons notamment identifié des profils d’enseignants relatifs à (1) la présence ou l’absence de problématisation de l’activité pour chacun des deux niveaux algorithmique et mathématique ; (2) l’exploitation du registre de représentation issu du dispositif Scratch et la présence ou l’absence de conversion de l’algorithme vers le registre de l’écriture mathématique ; (3) la quantité et la qualité d’actions didactiques visant à institutionnaliser les techniques ayant émergées lors de la mise en œuvre de la séquence.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Le premier résultat de recherche, de nature théorique, concerne la conception d’une modélisation pertinente des savoirs mathématiques et algorithmiques au sein d’une même tâche qui, d’une part, mette en lumière l’articulation existante entre les divers savoirs en jeu et, d’autre part, soit opération- nelle pour l’analyse de la viabilité d’un ensemble de tâches ainsi construites. Dans une démarche de recherche propre à la didactique des mathématiques, nous avons caractérisé l’approche considérée et les savoirs mathématiques en jeu (Question 1). Ensuite, nous avons repéré des difficultés relatives à la conceptualisation du quotient et du reste, au recours au modèle de division lorsque le quotient est le nombre de parts, et à la compréhension du sens de l’écriture mathématique associée à la division euclidienne.

Les analyses statistiques menées pour répondre à la deuxième question révèlent que, d’une manière générale, il n’y a pas eu une différence significative entre les deux groupes en termes d’apprentissages de la division euclidienne sauf pour une des tâches du test, pour laquelle les élèves appartenant au groupe contrôle ont plus de chance de réussite par rapport aux élèves du groupe expérimental. Nous observons que cette différence entre les deux groupes, bien que légère, n’est pas négligeable et mérite d’être questionnée. Une explication possible de ce phénomène pourrait être le changement de dispositif : il est possible que la dernière séance de réinvestissement des élèves du groupe expérimental n’ait pas été suffisante pour un transfert des connaissances apprises avec Scratch vers les tâches du post-test. Les élèves du groupe contrôle n’étaient pas concernés par ce changement de dispositif, ayant ainsi un avantage.

Finalement, notre troisième résultat de recherche (en réponse à la question 3) est l’identification de quatre profils d’enseignants. Deux des profils identifiés sont considérés comme conformes aux attentes des chercheurs du projet. L’analyse de ces deux profils nous a permis de caractériser des « bonnes pratiques » au niveau de la transposition didactique de la séquence. Trois gestes didactiques associés à ces deux profils montrent une forte propension à la verbalisation (l’utilisation de registres de l’oralité visant l’explicitation du lien entre des registres de représentation des savoirs différents) et à la décontextualisation (le passage à partir d’un vocabulaire lié à un contexte spécifique non mathématique, par exemple utilisation de termes liés au déplacement d’un lutin sur une bande numérique, vers un vocabulaire lié à l’objet mathématique ciblé, par exemple utilisation de termes comme diviseur ou dividende). Les entretiens informels réalisés avec les enseignants ont mis en lumière qu’un des éléments clés de l’apparition de ces pratiques est la posture professionnelle vis-à-vis de l’enseignement des mathématiques.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • La séquence EXPIRE analysée constitue un outil pour l’enseignement et l’apprentissage de la division euclidienne pour les classes de niveau CM1/CM2.

  • L’appropriation de la dimension algorithmique se fait de manière rapide tant par les enseignants que par les élèves, qui montrent également enthousiasme et motivation face aux activités Scratch.

  • Au sein de ce type de séquence il existe plusieurs risques, sur lesquels l’enseignant doit être vigilant : (1) la dimension algorithmique peut cacher la dimension mathématique ; (2) les connaissances mathématiques apprises grâce aux séquences peuvent rester implicites et ne pas être transférées à d’autres contextes.

  • Pour éviter ces risques l’enseignant doit travailler les séances avant (chercher les solutions, anticiper les erreurs, etc.) et mettre en place des « bonnes pratiques » : il doit (1) problématiser la dimension mathématique de la séquence ; (2) exploiter le registre de représentation issu du dispositif Scratch et le convertir vers le registre de l’écriture mathématique ; (3) faire émerger les techniques mathématiques utilisées par les élèves lors de l’activité de programmation et les institutionnaliser.

Références

Bertrand, I. (1990). L’informatique a-t-elle un avenir à l’école primaire? Culture technique, (21), 206-212. Bideault, A. (1985). Procédure d’enfants de CEI dans une tâche de construction de parcours. Enfance, 38(2), 201-212. https://doi.org/10.3406/enfan.1985.2880

Chaachoua, H. (2018). T4TEL un cadre de référence didactique pour la conception des EIAH. Dans Séminaire national de didactique des mathématiques. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02009619/

Chevallard, Y. (1999). L’analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique. Recherches en didactique des mathématiques (Revue), 19(2), 221-265.

Noss, R. (1986). Constructing a conceptual framework for elementary algebra through Logo program- ming. Educational Studies in Mathematics, 17(4), 335-357. https://doi.org/10.1007/BF00311324

Sutherland, R. (1989). Providing a computer based framework for algebraic thinking. Educational Studies in Mathematics, 20(3), 317-344. https://doi.org/10.1007/BF00310876

Temperman, G., Anthoons, C., De Lièvre, B. et De Stercke, J. (2014). Tâches de programmation avec Scratch à l’école primaire : Observation et analyse du développement des compétences en mathématique. Frantice. net, (9). http://www.frantice.net/docannexe/fichier/1083/9.pdf

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