La simplification de textes comme outil pour améliorer la fluidité et la compréhension de lecture chez les enfants à l’école primaire

Ludivine JAVOUREY-DREVET

Niveaux

Du CE1 au CM

 

 

 

 

 

Public

Enseignant(e)s d’élémentaire et professionnel(le)s de l’éducation tel(le)s que les orthophonistes ou personnes travaillant dans le cadre d’aide aux apprentissages en lecture et compréhension

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

La maitrise de la lecture est un enjeu social majeur. La compréhension d’un texte nécessite de rapidement aller de la reconnaissance des mots à l’élaboration d’une représentation mentale du texte, en s’appuyant sur des analyses linguistiques et des idées venant du texte, en lien avec les connaissances du monde. Dans ce travail de recherche, nous avons étudié dans quelle mesure la simplification de textes pouvait faciliter la lecture et la compréhension de deux types de textes : des textes narratifs et des documentaires scientifiques. La simplification consiste à réduire la complexité d’un texte tout en conservant les informations et le sens original (Siddharthan, 2014). La simplification de textes s’opère à différents niveaux linguistiques : lexical, morphosyntaxique et discursif. Son but est de rendre les textes plus lisibles tout en préservant leur contenu original (Saggion, 2017). Les jeunes lecteurs sont dans une phase décisive d’acquisition des processus de reconnaissance des mots écrits qui est centrale pour la compréhension. Notre problématique était donc la suivante : « Est-ce que la simplification de textes littéraires et de documentaires scientifiques peut améliorer la fluidité et la compréhension en lecture chez des élèves français entre 7 et 9 ans ? ».

Pour atteindre notre objectif, nous avons réalisé trois grandes études qui répondent à cinq questions de recherche :
Question 1 (étude 1) : La simplification de textes peut-elle améliorer la fluidité de lecture et la compréhension de deux types de textes, narratifs et documentaires ?
Question 2 (étude 1) : Est-ce que les compétences initiales des élèves modulent l’effet de la simplification de textes ?
Question 3 (étude1) : Quels facteurs textuels expliquent l’amélioration des compétences en lecture en termes de vitesse et de compréhension chez les lecteurs ?
Question 4 (étude 2) : Est-ce qu’un niveau de simplification, lexical versus syntaxique, est plus bénéfique que l’autre ? Ces niveaux de simplification sont-ils additifs ?
Question 5 (étude 3) : Est-ce qu’un entrainement de trois mois avec des lectures de textes simplifiés ou originaux permet d’augmenter le niveau de fluidité et/ou de compréhension en lecture notamment chez les élèves faibles lecteurs ? Ces études ont permis la création de deux ressources qui sont accessibles librement : le corpus de textes ALECTOR1 et un livre interactif, « Hibou »2.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Comme le suggèrent les enquêtes internationales (PISA, Chabanon et al., 2019 ; PIRLS, Mullis et al., 2017), le niveau de compréhension de textes des enfants français est préoccupant. Étudier le développement des compétences générales en lecture des élèves entre 7 et 9 ans constitue un enjeu majeur car ils sont dans une phase décisive d’acquisition des processus de reconnaissance des mots écrits. La simplification de textes semble une piste intéressante pour les élèves, en particulier pour ceux qui rencontrent des difficultés. Elle pourrait potentiellement restaurer un plaisir à la lecture qui encouragerait une exposition aux textes écrits, laquelle est facteur de progression. En effet, c’est au cours de cette période que les élèves entrent dans la phase de l’auto-apprentissage (Share, 1995 ; Ziegler et al., 2014) et développent l’automatisation de la lecture et des stratégies en compréhension de textes (Bianco et Lima, 2017 ; Willingham, 2006). La simplification de textes pourrait améliorer la compréhension afin de faire entrer les faibles lecteurs dans le cercle vertueux de l’auto-apprentissage. Ce mécanisme est activé lorsque l’enfant utilise les associations graphèmes-phonèmes maitrisées pour décoder les mots. Pour chaque décodage réussi s’activent en mémoire la forme phonologique et la forme sémantique du mot, donnant ainsi l’occasion de mémoriser la représentation orthographique de ce mot et conduisant à un renforcement du mécanisme de décodage (c’est-à-dire, un développement de la connaissance des règles de conversion graphèmes-phonèmes). Cet apprentissage implicite supplée l’apprentissage explicite grâce au renforcement de la lecture par la lecture. En effet, les lectures successives renforcent le processus de décodage qui devient de plus en plus performant, permettant une reconnaissance plus rapide de la forme orthographique des mots — et, de fait, un accès plus rapide à leur forme phonologique —, diminuant ainsi le coût cognitif alloué au décodage. Ainsi, l’enfant va être capable de mobiliser de plus en plus de ressources cognitives pour la compréhension de ce qu’il lit plutôt qu’au décodage proprement dit (Sprenger-Charolles et Ziegler, 2019). La compréhension nécessite de nombreuses ressources telles que les connaissances langagières, les connaissances culturelles et les efficiences cognitives (mémoire, attention, raisonnement, fonctions exécutives, capacités visuelles) (Bianco, 2016). De plus, le type de texte influence la compréhension ; les textes narratifs sont plus facilement compris que les textes informatifs dont les sujets traités dépendent davantage de connaissances du monde précises (Best et al., 2008 ; McNamara et al., 2011). Le vocabulaire spécifique des documentaires scientifiques, souvent inconnu des jeunes lecteurs, est difficile à adapter car spécialisé (Marin et al., 2007). Ces textes informatifs sont aussi moins fréquemment rencontrés à l’école (Duke, 2000).

À travers notre première question de recherche, nous souhaitions savoir si la simplification de textes permet d’améliorer la fluidité de la lecture et la compréhension de deux types de textes. La démarche de simplification de textes vise à transformer un texte original en un texte simplifié afin de le rendre plus accessible à un public-cible considéré comme ayant des difficultés de lecture et/ou de compréhension, comme par exemple les lecteurs aphasiques (Carroll et al., 1998), les adultes illettrés (Aluísio et Gasperin, 2010), ou les apprenants en langue seconde (Keshavarz et al., 2007). Nous avons fait l’hypothèse que les effets de la simplification pouvaient diminuer entre le CE1 et le CM1 puisque le facteur « décodage » est de moins en moins prédominant dans la fluidité (Kim et Wagner, 2015) et dans la compréhension en lecture (Morais, 1993).

Notre deuxième question de recherche vise à déterminer si les compétences initiales des élèves peuvent moduler l’effet bénéfique de la simplification de textes. Nous avons fait l’hypothèse que la simplification devrait être davantage bénéfique pour les élèves ayant un faible niveau de lecture. La simplification de textes pourrait aider les faibles décodeurs notamment par le remplacement de mots par des synonymes plus fréquents dont les relations grapho-phonémiques sont plus régulières (Gala et Ziegler, 2016).

Notre troisième question de recherche concerne les facteurs textuels qui expliqueraient les bénéfices apportés en termes de vitesse et de compréhension chez les lecteurs. Nous avons étudié trois séries de variables qui distinguent les textes simplifiés des textes originaux : lexicales, morphologiques et syntaxiques. Nous avons fait l’hypothèse que les facteurs tels que la longueur des mots, leur fréquence, la suppression de pronominalisation et de morphologie verbale seraient les plus discriminants entre les versions originale et simplifiée. En effet, ces variables ont un poids important dans les formules de lisibilité (Gala et al., 2020 ; Todirascu et al., 2013).

À travers notre quatrième question de recherche, nous avons étudié si un niveau de simplification — lexical versus syntaxique versus lexico-syntaxique — était plus efficace que les autres pour la fluidité et la compréhension. Notre objectif était de comparer les effets de la simplification de textes suivant chacun des trois niveaux (c’est-à-dire, lexical, syntaxique et lexico-syntaxique). En nous basant sur les résultats de Safari et al. (2017), nous avons fait l’hypothèse que le facteur lexical serait aussi important que le facteur syntaxique et que la simplification lexico-syntaxique serait la plus efficace supposant une additivité des bénéfices apportés par chaque niveau de simplification. Enfin, notre cinquième question de recherche est de savoir si le niveau de fluidité et/ou de compréhension de lecture d’un élève, notamment faible lecteur, pourrait s’améliorer après un entrainement de trois mois en lecture avec des textes simplifiés ou originaux. Nous nous sommes intéressés aux effets de généralisation de la lecture de textes simplifiés. Nous avons fait l’hypothèse qu’un entrainement à la lecture de textes simplifiés devrait permettre à des faibles lecteurs d’entrer dans le cercle vertueux de l’auto-apprentissage (Share, 1995) et d’augmenter leurs capacités de compréhension de manière générale (effet de transfert ou de généralisation).

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

Afin de répondre à nos différentes questions de recherche, nous avons mené une série de trois études. Chaque étude comprenait deux phases :

  • la phase de tests individuels dont le but était d’obtenir une variété de mesures langagières et cognitives pour chaque élève telles que la conscience phonémique, la lecture à voix haute, etc.
  • la phase de lecture en classe sur tablette durant laquelle, les élèves ont utilisé le modèle d’iBook via l’application « Hibou » pour 1/ lire silencieusement des textes (simplifiés ou originaux) et 2/ réaliser des tâches de compréhension de textes (QCM et résumés à trous à compléter, à partir d’une liste de mots proposés). Pour chaque étude et pour chaque élève, la fluidité de lecture a été évaluée en calculant le temps de lecture moyen par mot et le niveau de compréhension des textes lus a été évalué grâce au pourcentage de réponses correctes aux QCM et dans les résumés à trous. Dans les classes, les professeurs ont choisi des organisations pédagogiques différentes : en rallye-lecture, sur des temps de lecture en autonomie, lors des Activités Pédagogiques Complémentaires et souvent en suivant un rythme régulier (deux temps par semaine ; 15 minutes par jour…).

Notre première étude nous a permis de répondre à nos questions de recherche 1, 2 et 3. Dans cette optique, nous avons suivi 138 élèves sur 3 ans, du CE1 au CM1, impliquant ainsi 22 enseignants de 6 écoles du Var. À travers notre première question, notre objectif était d’examiner les effets de la simplification au cours de l’apprentissage de la lecture et du développement des compétences associées. Chaque année, nous avons réalisé les deux phases expérimentales ; chaque élève a été exposé à 20 textes littéraires (10 originaux et 10 simplifiés) et 20 textes documentaires scientifiques (10 originaux et 10 simplifiés) ainsi qu’aux tâches de compréhension associées. Au cours des 3 années, chaque élève a ainsi lu 60 textes originaux et 60 textes simplifiés dont 30 littéraires et 30 documentaires. Enfin, la programmation de la lecture des textes a été randomisée et contrôlée.

Afin de traiter notre deuxième question visant à déterminer si les compétences initiales des élèves pourraient moduler l’effet bénéfique de la simplification de textes, nous avons recherché quelles seraient les variables cognitives ou langagières qui expliqueraient les gains en vitesse de lecture et les gains en compréhension. Chaque année, au mois de janvier, les élèves ont passé une dizaine de tests cognitifs et langagiers. Les tests réalisés concernent : la conscience phonémique, évaluée avec la batterie Evalec (Sprenger-Charolles et al., 2010) ; la lecture à haute voix évaluée avec la version française du Test d’efficacité en lecture de mots (TOWRE) adapté au français par Gentaz et ses collègues (2015) ; le vocabulaire, évalué à l’aide du Test de Vocabulaire Actif/Passif (TVAP) de Deltour et Hupkens (1980) ; la compréhension orale, évaluée avec l’Épreuve de Compréhension Syntaxico-Sémantique Étalonnée (ECOSSE) développée par Lecocq (1996) ; la mémoire de travail, évaluée avec les tests Digit Span (nombres répétés)de Wechsler (2004) ; l’intelligence non verbale, évaluée avec le test des matrices progressives de Raven(1998) ; la conscience morphologique, évaluée via une tâche d’achèvement de phrase (Casalis et al., 2004) ; la reconnaissance visuelle des mots, évaluée avec le Test d’identification de mots écrits (Timé3) développé par Écalle (2006) ; l’orthographe morphologique et la grammaire, évaluées avec le test d’orthographe normalisé du français « Langage oral — Langage écrit — Mémoire, Attention test » (L2MA, 2ème édition, Chevrie-Muller et al., 2010) ; la dénomination rapide automatisée (RAN) ; et le traitement des chaines de caractères via la recherche d’une lettre cible dans une série de consonnes (Ziegler et al., 2008 ; Ziegler et al., 2010).

Pour traiter notre troisième question concernant les facteurs textuels qui expliqueraient les bénéfices apportés en termes de vitesse et de compréhension chez les lecteurs, nous avons commencé avec un ensemble de 406 variables textuelles développées par François (2011). Un grand nombre de ces variables sont des variantes les unes des autres et mesurent donc des propriétés de textes similaires (par exemple, diverses mesures de la fréquence des mots). Chaque année, nous avons sélectionné les variables les plus discriminantes entre les deux versions : originale et simplifiée, pour les 60 textes originaux (10 narratifs et 10 documentaires scientifiques pour chacune des trois années de l’étude). Cette procédure a abouti à une sélection de 22 variables qui peuvent être organisées en trois familles : lexicale, morphologique et syntaxique. Les analyses ont été faites pour chaque niveau scolaire (CE1-CE2-CM1).

Notre deuxième étude — permettant de répondre à notre quatrième question — avait pour objectif de comparer les effets d’une simplification lexicale vs syntaxique vs lexico-syntaxique. Cette étude incluait trois groupes d’élèves de CE1 qui n’ont pas participé à la première étude. La phase de tests individuels nous a permis d’évaluer le niveau des élèves en reconnaissance visuelle de mots via le test d’identification de mots écrits (Timé 3) ainsi que l’orthographe morphologique et la grammaire (L2MA). Au cours de la phase de lecture en classe, les élèves ont lu 5 textes narratifs et 5 documentaires scientifiques, autant de textes originaux que de simplifiés. Le premier groupe (Lex) comportait 118 élèves qui ont lu des textes originaux et des textes simplifiés uniquement au niveau lexical ; le deuxième groupe (Syntax) comportait 51 élèves qui ont lu des textes originaux et des textes simplifiés uniquement au niveau syntaxique ; le troisième groupe (LexSyntax) comportait 83 élèves qui ont lu des textes originaux et des textes simplifiés sur deux niveaux, lexical et syntaxique.

Enfin, notre troisième étude avait pour objectif d’évaluer les bénéfices apportés par un entrainement de trois mois à la lecture de textes simplifiés ou originaux au niveau de la fluidité et/ou de la compréhension en lecture, notamment chez les élèves faibles lecteurs (question 5). Nous avons réalisé les mêmes tests que dans la première étude auxquels ont été ajoutés une épreuve de fluence issue d’une étude sur la compréhension développée dans le cadre de l’ANR Devcomp (Bianco et al., 2014), et le test des Cloches élaboré par Gauthier et al. (1989). Pour répondre à notre question de recherche, nous avons proposé un entrainement de lectures sur tablettes à deux groupes d’élèves de CE2. Un groupe de 65 élèves qui n’a lu que des textes simplifiés sur trois niveaux (lexical, syntaxique et discursif ) et un groupe de 61 élèves qui a lu ces mêmes textes uniquement en version originale. Le groupe témoin (« business-as-usual ») comptait 62 élèves qui ont fait les mêmes pré et post-tests sans bénéficier d’un entrainement spécifique de lectures sur tablette avec nos textes. Les pré et post-tests de lectures étaient constitués de deux textes, « fictionnel et technique » selon Bentolila et Richaudeau (1989), tirés du fichier Le Moniteur de lecture CE2, chaque test étant suivi d’un QCM comprenant 10 questions de compréhension.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Les résultats de la première étude, incluant les trois premières questions de recherche, montrent que la simplification de textes a été bénéfique pour la fluidité et la compréhension sur les trois années, entre le CE1 et le CM1, pour la majorité des élèves et pour les deux types de textes (littéraires et documentaires scientifiques). Cela suggère que la simplification peut être efficace sur l’ensemble du cursus scolaire élémentaire (Question 1). Concernant la compréhension en lecture, la simplification a été profitable pour l’ensemble des élèves et ce quel que soit le type de textes. Cependant, la compréhension des textes scientifiques, même simplifiés, reste toujours plus difficile à appréhender que celle des textes littéraires. La simplification de textes n’agit pas directement sur la compréhension de textes mais sur les facteurs qui influencent la compréhension, comme la reconnaissance de mots, le vocabulaire, la morphosyntaxe et la production d’inférences. La simplification de textes agit sur les variables textuelles, telles que la fréquence des mots, la longueur des phrases ou la réduction du niveau de complexité d’un texte donné, variables qui influencent les facteurs impliqués dans la compréhension. Concernant la fluidité de lecture, les faibles lecteurs en CE1 ont davantage tiré parti de la simplification (Javourey-Drevet et al., 2020). Ce sont les élèves ayant un faible niveau initial en vocabulaire en CE1 qui ont le plus bénéficié de la simplification au cours des trois années d’expérimentation (Question 2). Les élèves ayant le plus bénéficié de la simplification au cours des trois années d’expérimentation sont ceux qui avaient des difficultés initiales en phonologie, en lecture à haute voix de mots familiers, en vocabulaire et en orthographe morphologique. Enfin, nos résultats sont conformes à ceux rapportés par Gentaz et al. (2015) qui montrent que les différences observées dans les compétences en compréhension de textes chez les élèves français de CP sont expliquées par les quatre prédicteurs suivants (du plus fort au plus faible) : les compétences de décodage, la compréhension orale, le vocabulaire et la conscience phonémique.

Concernant les facteurs textuels qui pourraient expliquer l’amélioration des compétences en lecture (vitesse et compréhension), les faibles connaissances en vocabulaire pourraient être la cause de difficultés de traitement au niveau de l’écrit. Les enfants qui ont du mal à produire des inférences sont aussi moins en mesure d’utiliser le contexte pour découvrir la signification de nouveaux mots (Cain et al., 2004). Les mécanismes de compréhension sont activés en s’appuyant sur les compétences linguistiques du lecteur dont le vocabulaire et l’orthographe morphologique font partie (Perfetti et al., 2010). Nos résultats, consistants avec ceux rapportés dans la littérature, montrent que le gain en compréhension de lecture grâce à la simplification de textes peut être expliqué par l’utilisation d’adjectifs et de mots plus fréquents dans les textes simplifiés et le remplacement des pronoms par leurs référents (Brouwers et al., 2014). La simplification permet la rencontre de mots qui sont pour le lecteur de haute qualité lexicale (Perfeffi, 2007) alors qu’en conservant le mot du texte original le lecteur n’aurait peut-être pas eu accès au sens du mot (Question 3).

Dans la deuxième étude (Question 4), nous avons comparé les effets de la simplification sur plusieurs niveaux : lexical, syntaxique, lexico-syntaxique auprès d’élèves en CE1. Nos résultats sont différents de ceux de l’étude menée en langue anglaise par Safari et Mohaghegh Montazeri (2017) qui a montré que le groupe ayant bénéficié des simplifications lexicales et syntaxiques combinées — donc une simplification lexico-syntaxique — a obtenu les meilleures performances. Les résultats que nous avons obtenus indiquent que les trois niveaux de simplification ont des effets équivalents sur la fluidité de lecture. En ce qui concerne la compréhension des textes lus, les trois niveaux de simplification aident, de façon comparable, à la compréhension des textes narratifs mais pas à celle des documentaires scientifiques. Cela s’explique par la nature du texte qui influence la façon dont le lecteur va intégrer les informations explicites du texte, c’est-à-dire, en faisant appel à ses connaissances antérieures (Wolfe, 2005). Par ailleurs, la complexité conceptuelle des mots et leur mise en relation rend la compréhension des textes informatifs plus difficile (Hiebert et Cervetti, 2012).

Dans la troisième étude (Question 5), notre analyse s’est portée sur un effet possible de généralisation. Concernant la fluidité de lecture, la lecture sur trois mois de textes originaux ou simplifiés a été bénéfique pour l’ensemble des élèves par rapport aux élèves du groupe témoin qui n’ont pas suivi d’entrainement. De plus, les élèves ayant des difficultés en lecture de mots à haute voix et en intelligence non verbale ont plus particulièrement bénéficié de l’entrainement. Concernant la compréhension en lecture, aucun bénéfice spécifique lié à l’entrainement à la lecture des textes originaux ou simplifiés proposés sur tablette, n’a été relevé. Cela peut s’expliquer par le fait que le décodage et la compréhension ne sont pas directement liés comme décrit dans le triangle Décodage-Vocabulaire-Compréhension (Perfetti et al., 2010). Pour aider les élèves à progresser en compréhension il est important de travailler le vocabulaire et les différents aspects de la langue. Ce constat montre les limites du dispositif proposé et l’importance de l’enseignement des stratégies de compréhension (Lima et al., 2016).

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • La simplification de textes améliore la fluidité de lecture des élèves ayant un faible niveau initial en vocabulaire et améliore les compétences en compréhension des élèves ayant de faibles performances en phonologie, orthographe, vitesse de lecture à haute voix et vocabulaire. Ces résultats soulignent l’importance d’adapter le matériel de lecture aux besoins des élèves (Kendeou et al., 2014).
  • La simplification de textes, qui peut porter sur les niveaux lexical, syntaxique et discursif, est bénéfique pour la compréhension et la fluidité de lecture des textes narratifs, mais aussi des textes documentaires.
  • Un entrainement à la lecture de textes simplifiés ne semble pas plus efficace pour la fluidité de lecture, qu’un entrainement à la lecture de textes originaux. De plus, aucun de ces deux entrainements ne permet d’améliorer la compréhension, qui dépend de nombreux autres facteurs que la seule fluidité de lecture.
  • Deux outils numériques, résultat d’un travail d’équipes pluridisciplinaires (sciences du langage, sciences de l’éducation, sciences cognitives) ont été développés dans le cadre de cette recherche et sont accessibles librement¹,² : le corpus de textes ALECTOR utilisé pour l’ensemble des études, et l’application « Hibou » utilisée par les élèves lors des expérimentations présentées dans les trois études. L’utilisation des outils créés répond à la liberté des professeurs qui peuvent les proposer dans la classe selon des choix d’organisations pédagogiques différentes. La première ressource numérique, le corpus ALECTOR réalisé dans le cadre du projet est constitué de 79 textes. L’interface, permet de choisir un texte et sa version adaptée (simplifiée) en fonction de différents critères (difficulté du texte, niveau, genre textuel et nombre de mots). Chaque texte est accompagné d’un questionnaire de compréhension (QCM). Il est possible de choisir d’augmenter la taille de la police, l’interligne et l’espacement entre les caractères pour aider les lecteurs en difficultés (Zorzi et al., 2012). Les professionnels accompagnant les enfants dans l’apprentissage de la lecture peuvent utiliser ces textes et leurs questionnaires téléchargés, sur papier ou en version numérique (Android ou iOS). La seconde ressource numérique, le livre interactif « Hibou », propose gratuitement 69 textes en version originale ou simplifiée, ainsi que les questions et les résumés, sous forme d’application ludique. Dans le cadre de la recherche, environ 600 élèves ont utilisé l’application « Hibou » sur les trois années d’expérimentation. Depuis la fin des expérimentations, l’application, uniquement sous format iOS, propose également des jeux de décision lexicale (présentation visuelle de mots et pseudo-mots à catégoriser). Un développement pour une version ouverte à d’autres systèmes d’exploitation est envisagé. L’enfant peut choisir l’espacement de caractères qui lui convient le mieux, une fois ce paramètre fixé, il peut néanmoins être changé à tout moment. Plusieurs livres sont téléchargeables dans différentes couleurs afin que chaque enfant utilisant le même iPad ou grand iPhone ou ordinateur puisse avoir son propre livre avec ses étoiles et ses trophées. Au travers de l’application « Hibou », l’enfant peut prendre conscience, en autonomie, de ce qu’il sait réaliser, de ce qu’il sait déjà. Il enrichit ses connaissances et peut même auto-évaluer ses progrès grâce au système d’évaluation par étoiles. Pour autant, autour des activités engagées, un dialogue pédagogique permettra de renforcer et valoriser les connaissances rencontrées par le lecteur dans l’application. Actuellement cette application, recommandée par le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, est utilisée au quotidien en situation classe. Sur le plan pédagogique, l’utilisation des outils créés et validés par les résultats des différentes études, en permettant d’adapter les textes aux besoins de l’élève, pourrait soutenir l’entrée d’un plus grand nombre d’élèves dans le cercle vertueux de l’auto-apprentissage. Le but de ces ressources numériques gratuites est de permettre à l’ensemble de la communauté éducative d’accéder à un panel plus important de supports d’entrainement à la lecture adaptables aux besoins des lecteurs, grâce à l’espacement des caractères et à la proposition des textes en version simplifiée.

Références

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