Stuart HALLIFAX
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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?
Ce travail de recherche s’est intéressé à l’adaptation de la ludification (utilisation d’éléments de jeu dans des contextes non jeux pour l’engagement et la motivation) aux profils d’élèves dans le cadre de l’apprentissage des mathématiques. Nous nous sommes posé trois questions générales qui ont permis d’orienter ce travail :
- À qui allons nous adapter notre ludification ? Qui sont les élèves qui vont utiliser l’environnement ? Comment pouvons-nous caractériser leurs préférences et motivations individuelles ?
- Quels éléments de jeu pouvons-nous leur proposer ? Comment ces éléments peuvent-ils être conçus tout en prenant en compte le contexte éducatif ?
- Comment pouvons-nous adapter nos éléments de jeu aux profils des apprenants ? Comment choisir les éléments de jeu les plus appropriés ?
Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?
La ludification — utilisation des éléments de jeu dans des contextes non-jeux — est de plus en plus utilisée dans le domaine de l’éducation pour soutenir l’engagement, la motivation (intrinsèque mais aussi extrinsèque), et la performance des apprenants (Hamari et al., 2014 ; Koivisto et Hamari, 2019 ; Looyestyn et al., 2017). Beaucoup d’approches (commerciales) actuelles proposent des systèmes où les apprenants utilisent les mêmes éléments de jeu. Cependant, des études récentes montrent que les apprenants réagissent différemment aux éléments de jeu (Hallifax et al., 2019 ; Monterrat, 2015), et que leur motivation, leur engagement et leurs performances peuvent varier grandement en fonction des caractéristiques individuelles telles que la personnalité (Goldberg, 1992), les préférences pour les jeux vidéo (aussi appelé profil de joueur) (Tondello et al., 2016) et la motivation pour l’activité d’apprentissage (Vallerand et al., 1992). Les résultats indiquent que, dans certains cas, les éléments de jeu non adaptés aux apprenants peuvent au mieux n’avoir aucun effet sur la motivation des élèves, et au pire démotiver les apprenants. Il semble donc important d’adapter les éléments ludiques au profil des apprenants.
Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?
Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons mis en place un moodle (un environnement numérique d’éducation1 ludifié — appelé LudiMoodle — qui a été déployé dans 4 collèges de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il a été utilisé par 258 apprenants de 4e pour l’apprentissage des mathématiques, plus précisément pour aborder la notion de calcul littéral.
Pour mettre en place ce prototype, nous avons mené une étude dans des conditions réelles, où les apprenants ont utilisé la plateforme LudiMoodle pendant leur cours de mathématiques. Le contenu pédagogique a été développé avec les enseignant·e·s participant au projet afin qu’il soit le plus approprié pour leur cours. Les éléments ludiques ont eux aussi été développés avec les enseignant·e·s lors de séances de co-conception avec les ingénieur·e·s pédagogiques, chercheur·euses, et les ingénieur·e·s moodle. Lors de ces séances de co-conception, nous avons utilisé un outil de conception à base de jeux de cartes et de plateau afin de faciliter la coopération et la discussion entre les différents acteurs. Finalement, les élèves ont eux aussi participé à la conception des éléments ludiques ; nous les avons interrogés lors de sessions de « focus group » après l’utilisation d’une première version de la plateforme. Au total, 6 éléments de jeu — représentant des « styles » de jeu — ont été implémentés dans la plateforme LudiMoodle : un avatar, un système de points, un classement, un système de badges, une course contre la montre, et une barre de progression sous la forme d’une fusée (voir le Tableau 1 pour une description de chaque élément de jeu).
Lors de l’expérimentation principale, les apprenants ont utilisé la plateforme au cours de 10 séances réparties sur 6 semaines. Chaque séance s’est déroulée de la même manière : 10-15 minutes de cours « papier » (distribué sous la forme d’un pré-imprimé à coller dans leur cahier afin de s’assurer que les apprenants aient le même contenu) suivi de 25/30 minutes de quiz sur la plateforme LudiMoodle (chaque séance comportait entre 4 et 10 quiz en fonction de leur longueur). Chaque élève s’est vu attribuer aléatoirement un élément de jeu qu’il a conservé pour toute la durée de l’expérimentation.
Avant d’utiliser la plateforme, les apprenants ont rempli un questionnaire permettant de déterminer leur profil de joueur « Hexad » (Tondello et al., 2016). Ils ont également rempli le questionnaire AMS (échelle de motivation académique) afin de déterminer leur motivation initiale pour l’apprentissage des mathématiques (Vallerand et al., 1992). À la fin des 10 séances, ils ont à nouveau rempli le questionnaire AMS ce qui nous a permis d’estimer l’évolution de leur motivation à apprendre les mathématiques et ainsi déterminer les effets de cet outil sur la motivation des élèves.
Initialement, une deuxième vague d’expérimentations LudiMoodle était prévue. Nous voulions tester une adaptation dite « dynamique » : en plus d’adapter le contenu ludique aux profils statiques des apprenants, nous souhaitions l’adapter aux comportements « en temps réel ». Malheureusement, les conditions sanitaires et le confinement induits par la pandémie de COVID-19 ne nous ont pas permis de mettre en place ces expérimentations, initialement prévues au printemps 2020. Toutefois nous allons pouvoir mener cette expérimentation au printemps 2021. Nous allons alors étudier les effets de ces adaptations sur la motivation des apprenants en comparant trois situations : (1) les apprenants utiliseront un élément de jeu aléatoire (tout comme dans la première vague expérimentale), (2) les apprenants utiliseront un élément de jeu sélectionné selon leur profil statique, (3) les apprenants utiliseront un élément de jeu initialement choisi selon leur profil statique, choix qui sera remis en question selon leur comportement (taux de bonnes réponses, stratégie de réponse, nombre de quiz tentés, etc.) en temps réel.
Élément de jeu | Description |
---|---|
Avatar | Les élèves avaient un petit personnage qui gagnait des objets (vêtements, décorations, etc.) quand ils réussissaient des quiz. Chaque séance plaçait l’élève dans un univers différent (conte de fées, chevalier, etc.). |
Points | Les élèves pouvaient gagner des points en répondant correctement aux questions. Ces points étaient affichés sous la forme d’un sac de pièces d’or indiquant leur total de points. Ils pouvaient gagner jusqu’à 1 000 points pour un quiz réussi à 100 %. |
Classement | Les élèves étaient mis en compétition avec une classe fictive sous la forme d’une course. Plus ils donnaient de réponses correctes, plus ils amélioraient leur classement. |
Badges | Les élèves pouvaient gagner jusqu’à trois badges par quiz suivant leur résultat (or pour 100 % de bonnes réponses, argent pour 85 %, bronze pour 70 %). |
Course contre-la-montre | Le temps de réponse des élèves aux questions posées étaient chronométrés. À chaque fois qu’ils arrivaient à battre leur temps de référence (médiane de leur temps passé sur les questions précédentes) un petit personnage en forme d’équerre courraient de plus en plus vite. |
Progression | Les élèves pouvaient faire avancer une fusée. À chaque bonne réponse elle avançait dans l’espace, avant d’atterrir sur la lune à la fin de la séance si l’élève avait donné suffisamment de bonnes réponses. |
Le tableau offre une description des six éléments de jeu.
Concernant l’élément « Avatar », les élèves avaient un petit personnage qui gagnait des objets (vêtements, décorations, etc.) quand ils réussissaient des quiz. Chaque séance plaçait l’élève dans un univers différent (conte de fées, chevalier, etc.).
Concernant l’élément « Points », les élèves pouvaient gagner des points en répondant correctement aux questions. Ces points étaient affichés sous la forme d’un sac de pièces d’or indiquant leur total de points. Ils pouvaient gagner jusqu’à 1 000 points pour un quiz réussi à 100 %.
Concernant l’élément « Classement », les élèves étaient mis en compétition avec une classe fictive sous la forme d’une course. Plus ils donnaient de réponses correctes, plus ils amélioraient leur classement.
Concernant l’élément « Badges », les élèves pouvaient gagner jusqu’à trois badges par quiz suivant leur résultat (or pour 100 % de bonnes réponses, argent pour 85 %, bronze pour 70 %).
Concernant l’élément « Course contre-la-montre », le temps de réponse des élèves aux questions posées étaient chronométrés. À chaque fois qu’ils arrivaient à battre leur temps de référence (médiane de leur temps passé sur les questions précédentes) un petit personnage en forme d’équerre courraient de plus en plus vite.
Concernant l’élément « Progression », les élèves pouvaient faire avancer une fusée. À chaque bonne réponse elle avançait dans l’espace, avant d’atterrir sur la lune à la fin de la séance si l’élève avait donné suffisamment de bonnes réponses.
Quels résultats a-t-on obtenus ?
Suite aux expérimentations du projet LudiMoodle quatre résultats paraissent particulièrement intéressants à souligner :
- Relativement au contexte éducatif dans lequel nous nous sommes placés, l’approche de ludification non-adaptée (c’est-à-dire, utilisant des éléments de jeu attribués aléatoirement) provoque une démotivation générale caractérisée par une baisse des deux formes de motivation (intrinsèque et extrinsèque) ainsi qu’une augmentation de l’amotivation des apprenants face à l’apprentissage des mathématiques. Cependant ces effets sont différenciés lorsque nous regardons les éléments de jeu individuels : chaque élément de jeu a eu des effets différents sur la motivation des apprenants. De plus, nous avons observé que ces effets varient énormément en fonction du profil des apprenants, ce qui nous a permis de simuler plusieurs approches d’adaptation.
- Adapter les éléments de jeu selon le profil de joueur des apprenants a un effet sur leur comportement : ils répondent plus rapidement aux questions mais font plus d’erreurs.
- Adapter les éléments de jeu selon la motivation initiale des apprenants a un effet positif sur leur motivation intrinsèque : les apprenants trouvent plus de plaisir à apprendre des mathématiques.
- Adapter les éléments de jeu en tenant compte des deux profils (préférences de jeux et motivation initiale) de l’apprenant permet d’obtenir de meilleurs résultats : on observe un effet plus important sur la motivation intrinsèque et une baisse de l’amotivation. Les règles liées à cette approche d’adaptation sont présentées dans le Tableau 2.
Éléments de jeu | Recommandé pour les apprenants ayant un fort taux de | À éviter pour les apprenants ayant un fort taux de |
---|---|---|
Avatar | Amotivation, Player | Socialiser |
Bagdes | Disruptor | Motivation Intrinsèque |
Barre de progression | Amotivation | Motivation Intrinsèque, Motivation Extrinsèque |
Classement | Free Spirit | Motivation Intrinsèque, Motivation Extrinsèque, Achiever, Disruptor |
Score | Socialiser | Motivation Extrinsèque, Amotivation, Disruptor, Philanthropist |
Contre-la-montre | Amotivation, Achiever, Free Spirit | Motivation Intrinsèque, Philanthropist |
Le tableau présente, pour chacun des six éléments de jeu, les profils d’apprenants pour lesquels cet élément est recommandé ou au contraire est plutôt à éviter.
L’élément « Avatar » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Amotivation » ou de « Player ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Socialiser ».
L’élément « Badges » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Disruptor ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Motivation intrinsèque ».
L’élément « Barre de progression » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Amotivation ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Motivation intrinsèque » ou de « Motivation extrinsèque ».
L’élément « Classement » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Free spirit ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Motivation intrinsèque » ou de « Motivation extrinsèque » ou de « Achiever » ou de « Disruptor ».
L’élément « Score » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Socialiser ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Motivation extrinsèque » ou de « Amotivation » ou de « Disruptor » ou de « Philanthropist ».
L’élément « Contre-la-montre » est recommandé pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Amotivation » ou de « Achiever » ou de « Free spirit ». Il est à éviter pour les apprenants ayant un profil présentant un fort taux de « Motivation intrinsèque » ou de « Philanthropist ».
Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?
Tout d’abord, la première chose à retenir est que chaque apprenant a des préférences et des motivations différentes, et que ces préférences et motivations peuvent largement moduler l’effet des éléments de jeu.
Deuxièmement, les résultats de notre recherche sont très dépendants de notre contexte expérimental. En effet, le cours abordé, l’âge des apprenants, le type de collège, et même l’enseignant influent sur les effets observés. Changer ne serait-ce qu’un de ces paramètres pourrait faire varier nos résultats.
Cependant, nous pouvons présenter quelques règles générales tout en gardant à l’esprit que ces règles ne peuvent être perçues comme « une vérité absolue ». Il est donc important de les adapter au contexte éducatif dans lequel les élèves sont placés. Ainsi, en nous basant sur les résultats obtenus, nous avons pu dégager certaines règles d’attribution d’éléments ludiques en fonction du profil des apprenants (voir Tableau 2 pour l’ensemble des règles).
À titre d’exemple, face à un apprenant très fortement amotivé qui présenterait par ailleurs un caractère de type « Player » (c’est-à-dire, motivé par leur succès personnel, qui aime les compétitions dans lesquelles il peut gagner des récompenses), il est probable qu’un élément de jeu de type « Avatar » soit le plus adapté à son profil. Cependant, il est préférable d’éviter un élément de type « Avatar » pour un apprenant fortement « Socialiser » (c’est-à-dire, motivé par le contact social, l’interaction avec les autres) et favoriser un élément de jeu de type « Score« .
Note de bas de page :
Références
Goldberg, L. R. (1992). The Development of Markers for the Big-Five Factor Structure. Psychological Assessment, 4(1), 26. http://psycnet.apa.org/journals/pas/4/1/26/
Hallifax, S., Serna, A., Marty, J.-C. et Lavoué, É. (2019). Adaptive Gamification in Education: A Literature Review of Current Trends and Developments. Dans M. Scheffel, J. Broisin, V. Pammer-Schindler, A. Ioannou et J. Schneider (dir.), European Conference on Technology Enhanced Learning (p. 294-307). Springer International Publishing.
Hamari, J., Koivisto, J. et Sarsa, H. (2014). Does Gamification Work ?–A Literature Review of Empirical Studies on Gamification. Dans 2014 47th Hawaii International Conference on System Sciences (HICSS), 3025-3034. IEEE. http://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/6758978/
Koivisto, J. et Hamari, J. (2019). The Rise of Motivational Information Systems: A Review of Gamification Research. International Journal of Information Management, 45, 191-210. https://doi.org/10.1016/j.ijinfomgt.2018.10.013
Looyestyn, J., Kernot, J., Boshoff, K., Ryan, J., Edney, S. et Maher, C. (2017). Does Gamification Increase Engagement with Online Programs? A Systematic Review. PloS One, 12(3), e0173403. http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0173403
Monterrat, B. (2015). Un système de ludification adaptative d’environnements d’apprentissage fondé sur les profils de joueur des apprenants [thèse de doctorat, INSA de Rennes, Rennes, France]. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01255382/
Tondello, G. F., Wehbe, R. R., Diamond, L., Busch, M., Marczewski, A. et Nacke, L. E. (2016). The Gamification User Types Hexad Scale. Dans Proceedings of the 2016 Annual Symposium on Computer-Human Interaction in Play (p. 229-243). ACM. http://dl.acm.org/citation.cfm?id=2968082
Vallerand, R. J., Pelletier, L. G., Blais, M. R., Briere, N. M., Senecal, C. et Vallieres, E. F. (1992). The Academic Motivation Scale: A Measure of Intrinsic, Extrinsic, and Amotivation in Education. Educational and Psychological Measurement, 52(4), 1003-1017.
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Environnement numérique LudiAlgebre
Un environnement numérique ludifié destiné à augmenter la motivation et l’engagement des élèves lors de séances d’apprentissage de notions d’algèbre
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