Controverses en classes de collège : l’impact de l’attitude préalable des élèves sur le traitement de vidéos présentant des informations contradictoires

Colin LESCARRET

Niveaux

Collège

 

 

 

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Enseignants des cycles 3 et 4 (et tous les enseignants qui abordent des questions d’actualités en classe)

 

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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?

Plusieurs auteurs font le postulat qu’étudier des sujets d’actualité ou controversés en classe est un moyen d’entraîner l’esprit critique des élèves, en les introduisant à l’argumentation (voir par exemple, Simonneaux, 2008). Les sujets controversés faisant régulièrement objets de débats dans la société, les élèves sont toutefois susceptibles d’aborder les tâches proposées par l’enseignant avec une opinion déjà plus ou moins tranchée sur le sujet (Bohn-Gettler et McCrudden, 2018). Malgré tous les efforts déployés par l’enseignant pour aborder le sujet de façon objective, les élèves sont ainsi susceptibles de protéger leurs représentations du monde pré-existantes et traiter partiellement les informations présentées par l’enseignant — comme de nombreuses études ont pu le démontrer en contexte de traitement d’informations contradictoires (Richter et Maier, 2017).

Cette étude a cherché à mieux comprendre l’impact de l’opinion préalable des élèves sur le traitement d’informations contradictoires, avec deux spécificités : (1) la centration sur des apprenants jeunes(collégiens) comme population d’étude et (2) le choix de la vidéo comme média de présentation des informations contradictoires. Deux axes de recherches ont ainsi été développés dans cette étude :

  1. Le premier axe de recherche s’est intéressé à l’impact de l’opinion préalable des élèves sur le traitement de vidéos présentant des informations contradictoires sur une controverse socio-scientifique (« Faut-il manger bio pour améliorer sa santé et mieux préserver l’environnement ? »). Dans le cadre de cet axe de recherche, l’hypothèse d’un traitement biaisé des informations présentées dans les vidéos (plus grande attention portée par les élèves aux informations compatibles avec leur opinion préalable sur le sujet par exemple) a notamment été explorée.
  2. Le deuxième axe de recherche s’est focalisé sur le traitement par les élèves de la source lors du visionnage de vidéos présentant des informations contradictoires. Les travaux menés dans le cadre de cet axe de recherche ont notamment questionné si les élèves prêtaient attention aux informations données sur la source (identité de la personne s’exprimant à l’écran) au cours du visionnage de vidéos et si oui, dans quelle mesure l’expertise de la source sur le sujet avait un impact sur l’adhésion des élèves à son discours.

Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?

Le choix de collégiens comme population d’étude a été motivé par le manque de travaux menés sur le traitement d’informations contradictoires auprès de jeunes apprenants. Ce type de travaux ont, en effet, très majoritairement été réalisés auprès d’étudiants avancés (lycéens, étudiants d’Université) et il est possible de questionner dans quelle mesure les résultats déjà obtenus se répliquent auprès d’une population plus jeune et aux caractéristiques (connaissances préalables sur le sujet, croyances sur ce qui constitue une « preuve ») potentiellement différentes. Le choix de la vidéo comme média de présentation des informations contradictoires a, de même, été motivé par un manque d’études employant ce support d’apprentissage. En effet, la quasi-totalité des études sur le traitement d’informations contradictoires ont employé des textes (imprimés ou en ligne) pour tester leurs hypothèses. Pourtant, la vidéo fait aujourd’hui partie du quotidien des élèves, que ce soit dans un cadre scolaire ou de loisirs.
En 2018, 95 % des 7-19 ans français déclaraient utiliser internet pour regarder des vidéos et plus de la moitié des sondés indiquaient qu’il s’agissait de leur usage d’internet le plus fréquent (IPSOS, 2018). Or, les plateformes de partage comme YouTube autorisent quiconque à poster des vidéos sur n’importe quel sujet et la fiabilité des informations que les élèves peuvent y trouver peut grandement varier. Après avoir analysé le contenu des 200 premières vidéos proposées par YouTube lorsque les mots-clés « climate » ou « climate change » étaient recherchés, Allgaier (2019) a pu faire le constat que plus de la moitié des vidéos proposées partageaient des thèses climatosceptiques, voire conspirationnistes sur le changement climatique. Il existe ainsi un enjeu pédagogique fort à entraîner les élèves à traiter de façon critique les vidéos auxquelles ils sont confrontés, que ce soit dans un cadre scolaire ou dans leur vie quotidienne.

Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?

L’échantillon d’élèves mobilisés dans le cadre de cette étude était composé d’environ 600 élèves de 5e (moyenne d’âge de 12 ans), issus de six collèges de la Région Occitanie. La moitié des collèges dans lesquels étudiaient les élèves étaient situés en zone rurale, l’autre moitié en zone urbaine (Capitale de Région, Préfecture).

Axe 1 : Dans le cadre de cet axe de recherche, les élèves étaient exposés à une série d’extraits de reportages TV et de documentaires présentant des arguments scientifiques contradictoires sur la question « Manger bio est-il meilleur pour la santé et l’environnement ? ». La moitié des vidéos présentaient des arguments confirmant un impact positif du bio sur la santé et l’environnement, et l’autre moitié, des arguments réfutant ces bénéfices.
L’opinion des élèves sur le thème (pour ou contre consommer des aliments biologiques ?) était évaluée, à l’aide d’échelles standardisées¹ et d’une tâche de rédaction argumentative, en trois temps : (1) avant le visionnage des vidéos, (2) directement après le visionnage et (3) une semaine plus tard, nous permettant ainsi de mettre en évidence une potentielle évolution.
Le temps de lecture de chaque vidéo était enregistré (les élèves étaient laissés libres de visionner les vidéos à leur rythme), et la mémorisation des arguments des vidéos par les élèves était évaluée par QCM (directement après le visionnage des vidéos, et une semaine plus tard). Les élèves devaient par ailleurs évaluer chaque argument présenté dans les vidéos à l’aide d’une échelle bipolaire (« À quel point as-tu jugé convaincant cet argument ? » — « Pas du tout convaincant » à « Tout à fait convaincant »).

Axe 2 : Dans le cadre de cet axe de recherche, les élèves étaient exposés à des extraits d’interviews vidéo réalisés par l’agence SapiensSapiens pour les besoins de l’étude, dans lesquels deux individus prenaient position de façon opposée sur la question « L’agriculture biologique pourra-t-elle nourrir toute la planète en 2050 ? ». Le premier individu se positionnait comme favorable à ce changement et argumentait que ce changement de paradigme agricole aurait des conséquences positives, l’autre se positionnait comme défavorable et donnait des arguments pour défendre que ce changement aurait des conséquences néfastes.
L’expertise des individus interviewés était manipulée en présentant chacun soit comme (1) un chercheur en agronomie, (2) un agriculteur produisant de façon biologique, (3) un consommateur interrogé durant ses courses, à l’aide d’un bandeau présentant l’identité de l’interviewé au début de chaque vidéo.
À l’issue du visionnage (et une semaine après le visionnage), les élèves avaient à réaliser une tâche de reconnaissance évaluant leur mémorisation de l’identité des interviewés et de ses principaux arguments. Les élèves devaient par ailleurs évaluer l’expertise des interviewés sur le sujet et la confiance qu’ils accordaient à ses propos à l’aide d’échelles standardisées. Enfin, les élèves devaient indiquer quel interviewé ils jugeaient le plus convaincant et justifier leur réponse à l’écrit.

Quels résultats a-t-on obtenus ?

Axe 1 : Les résultats en termes de temps de lecture et de performances de mémorisation ne montrent aucun effet de l’opinion préalable des élèves aussi bien sur le comportement de visionnage des élèves, que sur la nature des arguments les mieux mémorisés par les élèves. Contrairement à nos hypothèses et aux résultats rapportés dans la littérature sur des élèves plus âgés (lycéens, étudiants), les élèves participant à cette étude n’ont pas regardé plus longtemps ni mieux mémorisé les vidéos qui présentaient des arguments compatibles avec leur opinion préalable sur le sujet.
Les élèves ont eu tendance à juger les arguments compatibles avec leur opinion préalable comme plus convaincants que les arguments remettant leur opinion en question, mais cet effet s’avère de taille faible et ne concerne qu’une part limitée d’élèves.
Le résultat le plus marquant (et surprenant au regard de la littérature) est que les élèves rapportent une modération de leur opinion sur le sujet suite au visionnage des vidéos, s’observant à la fois sur les échelles standardisées et leurs écrits argumentatifs. Autrement dit, les élèves initialement favorables à la consommation de produits biologiques rapportent une opinion plus défavorable suite au visionnage, le pattern inverse étant observé pour les élèves initialement défavorables.
D’importantes difficultés pour « faire sens » aux arguments présentés dans les vidéos sont toutefois relevées dans les écrits argumentatifs des élèves, ceux-ci justifiant peu leur réponse et rédigeant parfois des paragraphes incohérents (arguments cités incompatibles avec la position qu’ils défendent).

Axe 2 : Les résultats aux tests de reconnaissance montrent que les élèves ont bien fait attention à l’identité de la personne s’exprimant à l’écran au cours du visionnage des vidéos (plus de 70 % des élèves obtiennent un score égal ou supérieur à 3/4 au test une semaine après avoir vu les vidéos). Les évaluations réalisées par les élèves portant sur la crédibilité des interviewés sont, par ailleurs, cohérentes avec l’identité assignée à l’individu — les sources expertes (chercheur, agriculteur) étant jugées plus crédibles que la source non-experte (consommateur).
Toutefois, un biais est relevé dans l’évaluation des sources par les élèves ; la source donnant des arguments compatibles avec leur opinion préalable étant jugée plus crédible que la source donnant des arguments incompatibles (indépendamment de l’expertise de la source sur le sujet).
Par ailleurs, seule une minorité d’élèves (environ 30 %) jugent, à l’issue du visionnage, les interviewés présentés comme experts comme les plus convaincants sur le sujet. La majorité des élèves indiquent trouver les deux interviewés aussi convaincants l’un que l’autre (même dans la situation où les élèves voyaient un chercheur et un consommateur), voire la source la moins experte comme la plus convaincante.
Enfin, la source donnant des arguments compatibles avec l’opinion préalable des élèves sur le sujet est là encore, plus souvent jugée par les élèves comme la plus convaincante, comparée à la source donnant des arguments incompatibles, et ce, quelle que soit l’expertise de la source sur le sujet.

Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?

  • Le visionnage de vidéos présentant des arguments contradictoires (interviews d’individus exprimant des positions divergentes sur le sujet, par exemple) apparaît comme une pratique pédagogique utile pour aborder des sujets d’actualité ou controversés avec des collégiens. Les résultats de notre étude suggèrent en effet que les élèves sont enclins à questionner leur opinion, leurs croyances, après avoir été exposés à des arguments contradictoires sur le sujet sous forme de vidéos.
  • Deux points de vigilance sont toutefois à retenir :
    • Quand beaucoup d’arguments contradictoires sont donnés dans les vidéos, les élèves du niveau interrogés dans notre étude (5e) peuvent rencontrer d’importantes difficultés à restituer ces arguments de façon cohérente à l’écrit. Fournir un guide de rédaction (demandant de lister un certain nombre d’arguments présentés dans les vidéos et donnant des pistes sur la façon de les organiser, par exemple) apparaît nécessaire pour que les élèves rendent réellement compte du caractère controversé du débat dans leurs écrits et tirent profit de l’exercice.
    • Si les élèves accordent bien de l’attention à l’identité de la personne s’exprimant à l’écran lorsqu’ils visionnent des vidéos, ce n’est pas pour autant qu’une personne identifiable comme experte sur le sujet sera jugée par les élèves comme plus convaincante. De façon générale, les résultats de notre étude montrent que les élèves accordent plus d’importance aux arguments de la source (et si ses arguments sont compatibles avec leur opinion sur le sujet) qu’à l’expertise de la source sur le sujet. Dans l’optique d’un traitement « critique » de vidéos, il semble ainsi nécessaire de mettre l’accent sur l’importance de l’expertise de la source, afin que cette donnée soit mobilisée par les élèves comme critère pour évaluer la fiabilité du discours de la source (Potocki et al., 2020).

Note de bas de page :
1. Les échelles utilisées (attitude des élèves à l’égard de la consommation de produits biologiques et force de l’attitude) ont fait l’objet d’une validation psychométrique dans le cadre de l’étude et sont accessibles sur simple demande à l’auteur.

Références

Allgaier, J. (2019). Science and environmental communication on YouTube: strategically distorted communications in online videos on climate change and climate engineering. Frontiers in Communication, 4, 36. https://doi.org/10.3389/fcomm.2019.00036

Bohn-Gettler, C. M. et McCrudden, M. T. (2018). Effects of task relevance instructions and topic beliefs on reading processes and memory. Discourse Processes, 55(4), 410-431. https://doi.org/10.1080/0163853X.2017.1292824

Potocki, A., de Pereyra, G., Ros, C., Macedo-Rouet, M., Stadtler, M., Salmerón, L. et Rouet, J.-F. (2020). The development of source evaluation skills during adolescence: exploring different levels of source processing and their relationships (El desarrollo de las habilidades de evaluación de lasfuentes durante la adolescencia : una exploración de los distintos niveles de procesamiento delas fuentes y sus relaciones). Journal for the Study of Education and Development, 43(1), 19-59. https://doi.org/10.1080/02103702.2019.1690848

Richter, T. et Maier, J. (2017). Comprehension of multiple documents with conflicting information: A two-step model of validation. Educational Psychologist, 52(3), 148-166. https://doi.org/10.1080/00461520.2017.1322968

Simonneaux, L. (2008). L’enseignement des questions socialement vives et l’éducation au développement durable. Pour, 198(3), 179-185. https://doi.org/10.3917/pour.198.01795

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