Mathilde RIANT
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Enseignant·e·s en lycée professionnel ; Enseignant·e·s de mathématiques
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Mathilde RIANT — Voir ses publications
Laboratoire LARAC
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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?
Ce travail de recherche s’intéresse à l’efficacité de l’apprentissage coopératif en classe puzzle sur les apprentissages en mathématiques des élèves de lycée professionnel. La méthode en classe puzzle est une méthode d’apprentissage coopératif qui structure fortement l’interdépendance positive entre les élèves et leur responsabilité individuelle dans le travail en groupe. Elle consiste à répartir les ressources d’une activité équitablement entre les élèves qui sont membres du groupe (Aronson et Patnoe, 2011). Chaque élève travaille sur une ressource individuellement et pendant leur travail en groupe, ils s’enseignent mutuellement les ressources et les regroupent pour remplir l’objectif commun. Dans ce travail de recherche, deux questions principales sont posées :
(1) Dans quelles mesures la méthode en classe puzzle impacte la motivation, l’autorégulation et les performances en mathématiques des élèves ?
(2) Quels facteurs permettent d’améliorer l’efficacité de cette méthode ? Ici, deux facteurs de modération sont étudiés : la fidélité d’implantation de la méthode puzzle dans les classes et le niveau initial en mathématiques des élèves.
Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?
Question 1 : D’après Slavin (2014), en permettant aux élèves d’avoir une responsabilité individuelle dans le travail en groupe et d’être interdépendants de manière positive, la méthode en classe puzzle peut avoir un effet bénéfique sur les apprentissages scolaires des élèves et cet impact transiterait par une motivation accrue et plus d’élaboration cognitive. Mais, les preuves empiriques de l’efficacité de cette méthode sur la cognition des élèves comme leur autorégulation sont rares (Sanaie et al., 2019) et celles sur la motivation des élèves sont contradictoires (Berger et Hänze, 2009 ; Roseth et al., 2019 ; Sanaie et al., 2019). De plus, l’efficacité de la méthode en classe puzzle sur les performances scolaires des élèves n’est pas clairement établie (Berger et Hänze, 2009 ; Roseth et al., 2019) et les études empiriques ayant suivies de grandes cohortes de participants dans ce contexte à long terme sont peu fréquentes.
Question 2 : Le premier facteur questionné ici est celui du niveau scolaire des élèves. Si apporter leur contribution au travail en groupe peut davantage motiver tous les élèves, même les plus faibles, et augmenter leurs efforts à apprendre (Slavin, 2014), travailler sur des contenus complexes en classe puzzle peut aussi mettre en difficulté les élèves avec un faible niveau scolaire (Deiglmayr et Schalk, 2015). Le second facteur étudié est lié à l’un des problèmes majeurs dans les recherches à grande échelle : celui d’assurer une bonne fidélité d’implantation des interventions en classe. Alors qu’une bonne fidélité peut améliorer l’efficacité d’une intervention, une mauvaise fidélité peut la réduire (Galand et Délisse, 2021).
Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?
L’expérimentation a été réalisée sur 5 226 lycéens de 108 lycées professionnels. Elle a débuté en septembre 2017, au début de l’année de première et elle s’est terminée en juin 2019, à la fin de l’année de terminale. Les élèves proviennent de trois filières professionnelles : la filière « Soins à la personne », la filière « Électricité », et la filière « Commerce ». Pour l’expérimentation ProFAN, ils ont été répartis dans trois conditions d’apprentissage :
- Une condition dans laquelle les élèves ont travaillé avec la méthode en classe puzzle (n = 1 793). Les élèves étaient d’abord affectés à un groupe de travail, puis chaque élève travaillait individuellement sur une ressource nécessaire à l’activité du groupe. Ensuite, ils se regroupaient et échangeaient avec les élèves de la classe qui avaient travaillé individuellement sur la même ressource. Après cet échange, ils retournaient dans leur groupe de travail et ils s’enseignaient mutuellement les ressources nécessaires pour mener l’activité commune.
- Une condition dans laquelle les élèves ont travaillé en coopération peu structurée (n = 1 768). Ici, ils travaillaient sur une activité en groupe, mais les ressources n’étaient pas réparties entre les élèves.
- Une condition dans laquelle les élèves ont appris de manière habituelle (n = 1 665). Les enseignants organisaient pédagogiquement les séquences comme ils le souhaitaient.
Pendant les deux années scolaires, les élèves ont mené quatre séquences d’apprentissage en mathématiques dans l’une des trois conditions. Ces séquences étaient coconstruites par les chercheurs et des professionnels (c’est-à-dire, inspecteurs généraux de l’éducation nationale, enseignants) engagés dans l’expérimentation ProFAN. Chaque séquence durait entre 5 et 10 heures. La première séquence portait sur les statistiques à une variable, la deuxième portait sur les équations du second degré, la troisième portait sur l’extremum d’une fonction polynomiale et la quatrième portait sur la fonction logarithme décimal.
Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons mesuré la motivation autonome en mathématiques et l’autorégulation à trois temps (avant, pendant et après l’expérimentation). Les performances en mathématiques des élèves étaient mesurées au bout de 5 mois après le début de l’expérimentation (après la séquence 1), puis un an plus tard (après la séquence 3).
- La motivation autonome en mathématiques a été mesurée à partir d’une traduction française de l’Academic Self-Regulation Questionnaire (Ryan et Connell, 1989). Pour les quatre énoncés du questionnaire, les élèves ont répondu à l’intitulé suivant : « Quand on fait des mathématiques en classe, je travaille parce que… », par exemple, « j’aime bien ce qui m’est demandé », « je veux apprendre de nouvelles choses ». Les élèves répondaient sur une échelle allant de 1 « pas du tout d’accord » à 7 « tout à fait d’accord ».
- L’autorégulation a été mesurée à partir d’une mesure inspirée du questionnaire Motivated Strategies for Learning Questionnaire (Pintrich et al., 1991). L’échelle comprend neuf énoncés qui font référence à l’autonomie des élèves dans le travail, au contrôle de leurs efforts pour apprendre et à leurs stratégies d’organisation (par exemple, « je me concentre quand je fais un exercice à l’école », « je m’organise pour finir mon travail à temps », « j’évite le plus souvent de me laisser distraire par les autres »). Ils répondaient sur une échelle allant de 1 « pas du tout d’accord » à 7 « tout à fait d’accord ».
- Les performances en mathématiques ont été évaluées individuellement et nous avons sélectionné dans ce travail de recherche la performance des élèves évaluée après la première séquence d’apprentissage et celle évaluée après la troisième séquence. Les scores allaient de 0 à 10.
Nous avons également mesuré les deux facteurs pouvant modérer les effets de la classe puzzle : la fidélité d’implémentation de la méthode dans les classes et le niveau en mathématiques des élèves.
- La fidélité d’implémentation est mesurée à partir d’entretiens menés avec les référents des établissements (par exemple, enseignants ou inspecteurs) qui avaient pour mission de veiller au bon déroulement de l’expérimentation dans les établissements. Ils accompagnaient notamment les enseignants. Nous avons récolté des informations sur le déroulement pédagogique et technique des séquences dans les classes et plus largement dans les établissements pendant les deux années scolaires.
- Le niveau initial en mathématiques des élèves a été recueilli par questionnaire avant le début des séquences d’apprentissage. Les élèves rapportaient leur moyenne obtenue en mathématiques à la fin de la dernière année scolaire précédant le début de l’expérimentation. Un score de 0 indique une moyenne allant de 0 à 4,9 ; 1 une moyenne entre 5 et 8,9 ; 2 une moyenne entre 9 et 12,9 ; 3 une moyenne allant de 13 à 15,9 et 4 à une moyenne allant de 16 à 20.
Quels résultats a-t-on obtenus ?
Question de recherche 1 : Les résultats de cette recherche montrent que durant la première séquence d’apprentissage, les élèves qui ont travaillé avec la méthode en classe puzzle n’ont pas mieux réussi en mathématiques que les autres élèves. Ils sont toutefois meilleurs que les élèves qui ont travaillé de manière habituelle un an après (c’est-à-dire, après la séquence 3). L’effet est très faible et indique que les conditions d’apprentissage expliquent très peu la variabilité des performances en mathématiques observées. Nos résultats montrent aussi que durant les deux années scolaires, que les élèves aient travaillé avec la méthode en classe puzzle, en coopération peu structurée ou de manière habituelle, la motivation en mathématiques ainsi que l’autorégulation des élèves décroissent de manière identique. Aucune différence entre les conditions d’apprentissage n’est constatée.
Question de recherche 2 : Les résultats quant à l’impact des facteurs qui modèrent l’efficacité de la méthode en classe puzzle sont plus hétérogènes.
- Les résultats révèlent que lorsque la méthode en classe puzzle est bien ou moyennement bien implantée dans les classes, elle n’est pas plus efficace pour augmenter la motivation et l’autorégulation des élèves. Toutefois, lorsqu’elle est bien implantée, la méthode en classe puzzle a des effets bénéfiques sur la performance des élèves de séquence 1 en comparaison à un apprentissage habituel, mais pas sur celle de séquence 3. Ces résultats ne nous permettent pas de conclure définitivement quant à l’efficacité de la méthode en classe puzzle lorsqu’elle est bien implantée.
- Les résultats indiquent aussi que les élèves de faible niveau en mathématiques et qui ont travaillé avec la méthode en classe puzzle ou en coopération peu structurée sont moins motivés et rapportent moins d’autorégulation dans le temps que les élèves de faible niveau qui ont travaillé de manière habituelle. Il apparait donc que la méthode en classe puzzle n’a pas été bénéfique aux élèves les plus faibles. Quelle que soit la condition d’apprentissage, aucune différence de motivation et d’autorégulation n’est observée pour les élèves à niveau moyen et élevé. On ne retrouve toutefois pas les mêmes résultats sur les performances des élèves en mathématiques. Aucune différence de performance entre les trois conditions d’apprentissage et selon le niveau initial en mathématiques des élèves n’est constatée.
Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?
- L’apprentissage coopératif en classe puzzle peut être efficace si on veut augmenter les performances des élèves en mathématiques, à condition de l’implanter à long terme dans les classes. Une bonne fidélité d’implantation de la méthode en classe puzzle peut également être propice à plus d’efficacité, en tout cas, sur les performances en mathématiques des élèves. Cela signifie que les étapes d’apprentissage de la méthode en classe puzzle doivent être correctement suivies.
- Toutefois, nos résultats invitent à la prudence quant à l’utilisation de la méthode en classe puzzle, a fortiori si elle est utilisée pour réduire les écarts entre les élèves faibles et forts. Cela dépend des objectifs que l’on poursuit en mobilisant une telle méthode. Selon Deigleymar et Schalk (2015), la méthode en classe puzzle peut être efficace pour les élèves faibles, si elle est choisie pour faire apprendre des concepts faciles ou déjà amorcés.
Références
Aronson, E., et Patnoe, S. (2011). Cooperation In the Classroom : The Jigsaw Methode (3e éd.). London : Pinter & Martin.
Berger, R., et Hänze, M. (2009). Comparison of two small-group learning methods in 12th-grade physics classes focusing on intrinsic motivation and academic performance. International Journal of Science Education, 31(11), 1511-1527. https://doi.org/10.1080/09500690802116289
Deiglmayr, A., et Schalk, L. (2015). Weak versus strong knowledge interdependence : A comparison of two rationales for distributing information among learners in collaborative learning settings. Learning and Instruction, 40, 69-78. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2015.08.003
Galand, B., et Janosz, M. (2020). Améliorer les pratiques en éducation : qu’en dit la recherche ?
Pintrich, P. R., Smith, D. A., Garcia, T., et McKeachie, W. J. (1991). A manual for the use of the Motivated Strategies for Learning Questionnaire (MSLQ). ERIC.
Roseth, C. J., Lee, Y.-k., et Saltarelli, W. A. (2019). Reconsidering jigsaw social psychology : Longitudinal effects on social interdependence, sociocognitive conflict regulation, motivation, and
achievement. Journal of Educational Psychology, 111(1), 149. https://doi.org/10.1037/edu0000257
Ryan, R. M., et Connell, J. P. (1989). Perceived locus of causality and internalization : examining reasons for acting in two domains. Journal of Personality and Social Psychology, 57(5), 749.
Sanaie, N., Vasli, P., Sedighi, L., et Sadeghi, B. (2019). Comparing the effect of lecture and Jigsaw teaching strategies on the nursing students’ self-regulated learning and academic motivation : A quasi-experimental study. Nurse Education Today, 79, 35-40. https://doi.org/10.1016/j.nedt.2019.05.022
Slavin, R. E. (2014). Cooperative Learning and Academic Achievement : Why Does Groupwork Work ?.[Aprendizaje cooperativo y rendimiento académico : ¿ por qué funciona el trabajo en grupo ?] Anales de psicologıa/Annals of Psychology, 30(3), 785-791. https://doi.org/10.6018/analesps.30.3.201201
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