Philippe GIRAUDEAU
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Institut INRIA-POTIOC
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À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?
Le travail de recherche mené dans le cadre de ce projet avait pour objectif de concevoir puis d’évaluer un environnement physico-numérique dédié à l’apprentissage collaboratif en salle de classe. Ici, nous avons essayé d’aller au-delà des outils numériques existants disponibles en salle de classe comme par exemple, l’ordinateur personnel. En effet, ce type de solution bien que largement accessible n’a pas été initialement conçu pour des activités pédagogiques de groupes. Dans ce travail de recherche, nous proposons d’utiliser de nouveaux paradigmes d’interaction avec le numérique, basés notamment sur la réalité augmentée et les interactions tangibles, afin de créer des environnements mixtes où le monde physique sert de support au monde virtuel. Si ces paradigmes existent depuis aux moins deux décennies, ils sont encore peu répandus au sein de notre société et difficilement accessibles hors de cas d’usage très spécifiques.
L’objectif a été de concevoir puis d’évaluer des environnements physico-numériques qui mélangent des objets physiques présents en salle de classe tels que du papier, des crayons et des livres, avec des éléments numériques projetés (images, sons vidéos), au sein d’un même espace de travail. Ainsi, les élèves peuvent travailler de façon active et collective, comme ils le feraient dans un espace purement physique, tout en bénéficiant des possibilités offertes par le numérique.
Pour ce faire, nous nous sommes posés les questions suivantes : 1) Quels types de systèmes de réalité augmentée est le plus bénéfique pour des activités pédagogiques d’apprentissage collaboratif en contexte écologique ? 2) Le système sélectionné est-il utilisable en contexte de salle de classe ?
Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?
Question 1 : Quels types de systèmes de réalité augmentée est le plus bénéfique pour des activités pédagogiques d’apprentissage collaboratif en contexte écologique ?
Les technologies numériques ont un rôle majeur dans l’éducation, comme l’affirme notamment la Commission européenne (European Commission, 2009 ; European Commission. Education, Audiovisualand Culture Executive Agency (EACEA), 2009), qui établit le numérique à l’école comme l’une des priorités pour l’enseignement, l’apprentissage et le développement des compétences du 21e siècle. Suivant cette tendance forte, de nombreux projets ont introduit des ordinateurs, des tablettes et des téléphones à l’école, et des centaines d’applications dédiées sont en cours de développement. Ces applications reposent généralement sur des paradigmes d’Interaction Humain-Machine (IHM) standards, à savoir le WIMP (Windows, Icons, Menus, Pointeur) et les adaptations tactiles. Ces paradigmes se sont révélés utiles pour de nombreuses tâches telles que l’édition de texte ou la collecte d’informations sur Internet. Cependant, il a été démontré que ces paradigmes sont limités pour les activités d’apprentissage où les gestes, la spatialisation d’information ou encore les activités collaboratives sont importants (Stanton et Neale, 2003).
Pour ce type d’activités, les approches ubiquitaires qui se déroulent dans un espace tridimensionnel et favorisent les interactions spatiales semblent avoir un bon potentiel (Hornecker et Buur, 2006). En particulier, les approches numériques qui reposent sur l’interaction tangible et la réalité augmentée ouvrent de nouvelles possibilités par rapport aux approches plus traditionnelles basées sur les ordinateurs de bureau et les tablettes (Fleck et Hachet, 2016).
Ainsi, nous avons basé notre travail sur la Réalité Augmentée Spatiale (RAS), qui consiste à augmenter les objets physiques en projetant des informations générées par ordinateur sur leurs surfaces via un vidéo-projecteur (Raskar et Low, 2001). Le concept de RAS a été introduit par Raskar et al. (1998), en démontrant notamment le potentiel immersif de cette technologie.
L’un des principaux avantages de la RAS est qu’elle permet une manipulation directe des données virtuelles en ancrant le contenu numérique sur des surfaces physiques. De même, les interfaces tangibles (IT) (Shaer et Hornecker, 2010) se concentrent sur l’intégration et la manipulation d’informations numériques par le biais d’artefacts physiques.
Question 2 : Le système sélectionné est-il utilisable en contexte de salle de classe ?
Bien qu’un grand nombre d’interfaces de réalité augmentée mobile, basées sur des tablettes et téléphones, aient été conçues pour l’éducation (par exemple, Akçayır et Akçayır, 2017 ; Chen et al., 2017), nous avons privilégié des approches plus ubiquitaires permettant des interactions directes (sans avoir un écran entre les mains), supportant de grands espaces de manipulations afin de faciliter la manipulation des données de manière collaborative.
Malgré leur potentiel, les mises en œuvre concrètes des approches de RAS et IT à l’école restent rares. Cela nous invite à proposer des recherches fondamentales et appliquées pour explorer comment les approches tangibles et de réalité augmentée peuvent servir l’objectif de l’éducation, notamment en favorisant le partage des connaissances, la construction de concepts et la facilitation des relations sociales. Ces recherches impliquent notamment de pouvoir tester en condition écologique de la salle de classe ces nouveaux paradigmes d’interactions en proposant une évaluation de l’outil sur des paramètres tels que l’utilisabilité du dispositif ainsi que son acceptabilité et sa désidérabilité.
Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?
Afin de concevoir le dispositif de réalité mixte appelé CARDS (pour Collaborative Activities based on the Real and the Digital Superimposition, voir Figure 1), nous avons suivi une méthodologie de conception itérative en 3 étapes auprès de 133 élèves — principalement scolarisés dans l’académie de Nancy-Metz — âgés de 9 à 13 ans sur une durée de 6 mois. L’ensemble des évaluations de la conception itérative a été validé par le comité d’éthique de l’INRIA.
Les trois cycles itératifs ont chacun suivi un modèle de conception itératif, où à partir de retours utilisateurs et de données issues de la littérature, des fonctionnalités et interactions étaient développées, puis présentées aux élèves et professeurs pour une évaluation en contexte scolaire. Pour les cycles itératifs 2 et 3, un protocole expérimental a été défini, déterminant l’activité à réaliser, le nombre d’élèves par groupe et les données collectées, y compris les questionnaires et les enregistrements vidéo pour les évaluations futures.
Tout au long du cycle de conception participative, des évaluations quantitatives ont été proposées à tous les participants, enseignants et enfants, par le biais d’un questionnaire évaluant l’expérience utilisateur appelé Attrakdiff. Ce questionnaire est basé sur un modèle théorique utilisant deux dimensions : (i) les qualités pragmatiques du système évalué, c’est-à-dire la capacité à soutenir l’exécution de la tâche ; (ii) les qualités hédoniques, à savoir le potentiel du système à être agréable à utiliser. L’Attrakdiff présenté aux enfants est une version simplifiée de l’Attrakdiff original, dont la version française est validée, et qui a déjà prouvé son adéquation à l’usage des enfants (Fleck et al., 2017). La figure 2 compile les retours des enseignants et des enfants des différentes sessions.
Par ailleurs, nous avons également réalisé des entretiens semi-dirigés par groupe d’élèves afin d’enrichir les résultats obtenus par le questionnaire Attrakdiff. Enfin, pour étudier les interactions avec le système (par exemple, erreurs d’interaction, temps de complétion) les séances d’évaluation du dispositif étaient enregistrées.
Quels résultats a-t-on obtenus ?
À l’issu du développement itératif mené en contexte scolaire, nous avons pu concevoir une version finale d’un premier prototype augmentée et tangible appelé CARDS (pour Collaborative Activities based on the Real and the Digital Superimposition). La version finale de CARDS est un dispositif portable et déployable en salle de classe permettant de réaliser de manière collaborative des séances d’idéation et de création de carte mentale. Ainsi, CARDS fonctionne sur la base de cartes en papier qui agissent comme des proxies physiques sur lesquels sont projetés des éléments numériques, tels que du texte, des vidéos et des images. Ces cartes peuvent être manipulées librement dans l’environnement, ce qui permet de regrouper, d’organiser et de sélectionner des informations en fonction de la capacité inhérente du système à spatialiser les éléments. Nous avons également introduit des dossiers augmentés qui peuvent stocker des cartes et afficher des vignettes sur leur page de couverture. Les dossiers permettent aux utilisateurs de réduire la quantité d’éléments sur la table et de travailler avec un nombre d’informations plus important. Pour créer ou supprimer des liens entre les objets sur la table, nous utilisons un stylo interactif. Les liens, comme tout objet sur la table, peuvent être créés, nommés, modifiés et supprimés. Le contenu de chaque carte peut être « inspecté » au moyen d’une carte grand format, ce qui permet aux élèves de visualiser de plus près le contenu stocké dans des cartes ou des dossiers.
Nous avons également mené une expérience en laboratoire pour comparer un dispositif de réalité augmentée mobile basé sur une tablette tactile et un dispositif de réalité augmentée spatiale fonctionnant grâce à un vidéoprojecteur et une caméra. Les sujets devaient mémoriser 5 items (images ou textes) alignés sur une table qui étaient soit projetés, soit affichés sur l’écran de la tablette tactile. Les sujets avaient une durée limitée pour mémoriser ces items et répondre à une question sur ce qu’ils venaient de mémoriser. Les résultats de cette étude nous montrent que réaliser une tâche demandant un effort cognitif important serait plus simple à effectuer avec une table augmentée grâce à un vidéoprojecteur qu’avec une tablette. Ces résultats renforcent notre choix de s’orienter vers des dispositifs facilitant les manipulations physiques pour favoriser les tâches d’apprentissage.
Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?
- Bien que les interfaces actuellement utilisées en salle de classe permettent un accès au monde numérique, son utilisation n’est pas forcément pertinente dans tous les cas d’utilisation. À travers ces recherches, nous avons montré que des dispositifs qui prennent en compte l’environnement de la salle de classe et les pratiques pédagogiques peuvent être développés pour aller au-delà des solutions existantes tel que l’ordinateur personnel.
- Lors de la conception de séquences pédagogiques utilisant un matériel numérique, le concepteur devrait prendre en considération les qualités et limites intrinsèques de l’interface pour que les élèves tirent pleinement partie de l’activité pédagogique.
- Les résultats obtenus à travers cette étude suggèrent un avantage des dispositifs de réalité augmentée spatiale (projection sur table) facilitant les manipulations physiques dans l’exécution de tâches d’apprentissage comparé à des applications en de réalité augmentée sur tablette tactile.
Références
Akçayır, M. et Akçayır, G. (2017). Advantages and challenges associated with augmented reality for education: A systematic review of the literature. Educational Research Review, 20, 1-11.
Chen, P., Liu, X., Cheng, W. et Huang, R. (2017). A review of using Augmented Reality in Education from 2011 to 2016. Dans Innovations in smart learning (p. 13-18). Springer.
European Commission. (2009). Europeans, Science and Technology (rapport). http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_224_report_en.pdf
European Commission. Education, Audiovisual and Culture Executive Agency (EACEA). (2009). Education and Training in Europe 2020: response from the EU member states (rapport). Publications Office of the European Union. http://hdl.voced.edu.au/10707/293181
Fleck, S., Baraudon, C., Frey, J., Lainé, T. et Hachet, M. (2017). ”Teegi, He’s so cute”: Example of pedagogical potential testing of an interactive tangible interface for children at school. Dans AFIHM (dir.), 29ème Conférence francophone sur l’Interaction Homme-Machine (p. 12). ACM. https://doi.org/10.1145/3132129.3132143
Fleck, S. et Hachet, M. (2016). Making tangible the intangible: Hybridization of the real and the virtual to enhance learning of abstract phenomena. Frontiers in ICT, 3, 30. https://doi.org/10.3389/fict.2016.00030
Hornecker, E. et Buur, J. (2006). Getting a grip on tangible interaction: a framework on physical space and social interaction. Dans Proceedings of the SIGCHI conference on Human Factors in computing systems (p. 437-446). ACM
Raskar, R. et Low, K.-L. (2001). Interacting with spatially augmented reality. Dans Proceedings of the 1st international conference on Computer graphics, virtual reality and visualisation (p. 101-108). ACM.
Raskar, R., Welch, G. et Fuchs, H. (1998). Spatially augmented reality. Dans First IEEE Workshop on Augmented Reality (IWAR’98) (p. 11-20).
Shaer, O. et Hornecker, E. (2010). Tangible User Interfaces: Past, Present, and Future Directions. Foundations and Trends in Human–Computer Interaction, 3(1-2), 4-137. https://doi.org/10.1561/1100000026
Stanton, D. et Neale, H. 2. (2003). The effects of multiple mice on children’s talk and interaction. Journal of Computer Assisted Learning, 19(2), 229-238.
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