Margaux LÊ
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Laboratoire CeRCA
À quelles questions cette étude tente-t-elle de répondre ?
L’influence des habiletés langagières, comme par exemple les compétences de traitement phonologique, sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture a été rapportée dans de nombreux travaux mais d’autres études plus récentes suggèrent que des habiletés non-langagières pourraient également jouer un rôle dans ces apprentissages. Ce travail de recherche s’inscrit dans la continuité de ces travaux et vise à mieux comprendre l’implication de deux de ces habiletés — la motricité fine et les habiletés rythmiques — dans l’apprentissage du langage écrit chez des élèves du CE2 au CM2. Plusieurs objectifs peuvent être distingués.
- Objectif 1 : Clarifier les mécanismes cognitifs expliquant les relations entre habiletés langagières et non-langagières chez les élèves sans difficulté.
- Objectif 2 : Examiner l’influence des difficultés motrices/rythmiques dans les troubles de l’apprentissage du langage écrit.
- Objectif 3 : Évaluer les bénéfices d’un entraînement en classe ciblant ces habiletés non-langagières sur l’apprentissage du langage écrit chez les élèves présentant ou non des difficultés d’apprentissage.
Pourquoi ces questions sont-elles pertinentes ?
Question 1 : De récentes études rapportent que les habiletés motrices et rythmiques évaluées en maternelle prédisent le niveau de langage écrit ultérieur (Cameron et al., 2012 ; Ozernov-Palchik et al.,2018). Cependant, il est nécessaire d’expliquer ces relations et plusieurs hypothèses ont été proposées. Par exemple, les compétences motrices pourraient faciliter l’apprentissage de l’écrit de par leur implication dans l’automatisation du geste d’écriture, une écriture manuscrite plus automatisée permettant de consacrer plus de ressources attentionnelles au traitement du langage lors de l’écriture d’un mot ou d’un texte (Suggate et al., 2016). Les habiletés rythmiques seraient quant à elles impliquées dans la segmentation du flux de la parole et jouerait un rôle crucial dans le développement de la conscience phonologique, l’un des principaux prédicteurs de l’émergence de la lecture et de l’orthographe (Ozernov-Palchik et al., 2018). Enfin, les effets de la motricité fine et du traitement du rythme sur le langage écrit pourraient également être expliqués par les fonctions exécutives (par exemple, l’inhibition, la mémoire de travail, etc.) qui jouent un rôle important dans la réussite scolaire (Cameron et al., 2012). Cependant, ces différentes hypothèses explicatives doivent être testées et confrontées permettant ainsi d’apporter de nouveaux éléments théoriques pour mieux comprendre les relations entre habiletés langagières et non-langagières et affiner la compréhension des facteurs impliqués dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Question 2 : Un nombre grandissant de travaux rapportent que les habiletés motrices et rythmiques sont fréquemment altérées chez les élèves présentant une dyslexie (Jover et al., 2013 ; Thomson et al.,2013). Par exemple, le trouble développemental de la coordination motrice (dyspraxie) est associé à la dyslexie dans 10 à 70 % des cas (Jover et al., 2013). Pourtant, les mécanismes expliquant la co-occurrence de ces troubles sont encore mal compris. Les interactions entre des difficultés langagières et non-langagières doivent également être mieux étudiées. Par exemple, chez les élèves dyslexiques, la présence de difficultés motrices et/ou rythmiques associées pourrait majorer les difficultés d’apprentissage de la lecture et/ou de l’écriture. L’étude des habiletés non-langagières dans les troubles du langage écrit est donc primordiale pour mieux comprendre l’étiologie de ces troubles et identifier de potentiels facteurs aggravants.
Question 3 : La majorité des travaux précités s’appuient sur des études corrélationnelles, qui ne permettent pas de prouver l’efficacité d’une intervention ciblant les habiletés non-langagières pour soutenir l’apprentissage du langage écrit. Actuellement, peu d’études interventionnelles se sont intéressées à cette question et elles présentent plusieurs limites. D’une part, les études évaluant les bénéfices d’entraînements rythmiques sur l’apprentissage de la lecture intègrent des exercices langagiers (Bhide et al., 2013) : il est donc difficile d’identifier la plus-value spécifique de l’entraînement au rythme sur le développement des compétences en lecture. D’autre part, les bénéfices d’un entraînement à la motricité fine n’ont quant à eux pas été étudiés à notre connaissance. Ainsi, une évaluation de l’efficacité de ce type d’entraînement sur le développement des compétences en lecture et en écriture pourrait non seulement conduire à une adaptation pertinente des pratiques pédagogiques actuelles mais aussi proposer de nouvelles pistes de remédiations pour les élèves présentant des troubles de l’apprentissage du langage écrit.
Quelle méthodologie de recherche a-t-on utilisée ?
Plusieurs études ont été menées dans le cadre de ce projet pour répondre à ces questions de recherche. Au total, 25 classes de CE2 et 17 classes de CM1 réparties dans 22 écoles de l’académie de Poitiers ont été impliquées dans le projet.
Question 1 : La première étude a été réalisée afin de mieux comprendre les mécanismes explicatifs des liens entre habiletés motrices et rythmiques et le langage écrit. Pour cela, 278 élèves de CE2 ont réalisé différentes tâches évaluant les habiletés motrices et rythmiques, les compétences associées au langage écrit (lecture et orthographe de mots, compréhension écrite et rédaction de texte) ainsi que différents médiateurs potentiels : les fonctions exécutives (mémoire de travail, inhibition et flexibilité mentale), l’écriture manuscrite et les compétences phonologiques. Les tests utilisés étaient en majorité issus de batteries standardisées (motricité : M-ABC ; langage écrit et compétences phonologiques : Batterie Analytique du Langage Ecrit ; fonctions exécutives : TEA-Ch, NEPSY-II, WISC-V, WNV). En l’absence de tests existants, les habiletés rythmiques ont été évaluées à l’aide d’une tâche de synchronisation à un rythme développée par Wolff (2002). Cette étude ne se focalisant que sur les élèves sans difficulté, les élèves présentant des difficultés d’apprentissage du langage écrit (c’est-à-dire, ceux présentant des scores déficitaires sur les épreuves langagières) ont été exclus de cette première étude. Au total, 239 participants ont été inclus pour les analyses. Des modèles statistiques ont ensuite été utilisés pour mettre en relations ces différentes habiletés et tester différentes hypothèses explicatives des liens entre motricité, rythme et langage écrit.
Question 2 : La deuxième étude visait à mieux comprendre le rôle des habiletés motrices et rythmiques dans les troubles de l’apprentissage du langage écrit. Pour cela, les habiletés non-langagières de 32 élèves présentant des difficultés d’apprentissage du langage écrit et de 32 élèves sans difficulté, tous issus de la cohorte de l’étude précédente, ont été comparées. Parmi les élèves en difficulté, différents sous-groupes ont également été distingués et comparés (faibles compétences motrices ou rythmiques vs compétences motrices ou rythmiques élevées) : nous nous attendions à trouver des difficultés en lecture et en écriture plus importantes chez les élèves présentant des difficultés motrices et/ou rythmiques associées.
Question 3 : La troisième étude nous a permis d’évaluer les bénéfices d’un entraînement moteur sur le développement des compétences en lecture et en écriture. L’entraînement était basé sur la pratique d’un jeu vidéo sur tablette, développé spécialement dans le cadre du projet DysApp. L’outil proposait différentes activités de motricité fine sollicitant le contrôle visuo-moteur, la dextérité manuelle et le déliement digital (par exemple, toucher des cibles le plus vite possible sur un écran avec les différents doigts de la main). Une étude randomisée contrôlée a été menée auprès de 147 élèves de CM1 sans difficulté d’apprentissages afin d’évaluer l’impact de l’utilisation de ce jeu sur (1) les compétences motrices et (2) le développement des compétences en lecture et en écriture. Les participants étaient répartis aléatoirement dans deux groupes : le groupe « entraîné » bénéficiait de l’intervention cible (jeu de motricité) et le groupe « contrôle » bénéficiait d’un autre type d’intervention (jeux mathématiques sur tablette). L’ensemble des participants a réalisé 12 séances de 20 minutes de jeu en petits groupes à raison de 2 séances par semaines. Avant et après la phase d’entraînement, les élèves ont réalisé plusieurs tâches évaluant leurs habiletés motrices (dextérité unimanuelle, coordination bimanuelle, séquences motrices) et leurs compétences en langage écrit (tâches de lecture de mots, dictée de mots et texte, et compréhension écrite) afin d’évaluer l’évolution de ces compétences pour les deux groupes. Nous nous attendions à observer une plus grande amélioration de l’ensemble des compétences évaluées chez les élèves du groupe « entraîné » par rapport aux élèves du groupe « contrôle ».
Quels résultats a-t-on obtenus ?
Question 1 : Les résultats de la première étude révèlent qu’en CE2 les habiletés motrices et rythmiques ont un effet sur l’ensemble des dimensions du langage écrit évaluées dans l’étude (lecture, orthographe, compréhension et rédaction de texte). Plus précisément, les résultats des modèles statistiques permettent d’identifier différents facteurs expliquant ces relations :
- L’effet de la motricité sur le langage écrit est expliqué par les fonctions exécutives et l’automatisation de l’écriture manuscrite. De meilleures compétences motrices faciliteraient le développement du fonctionnement exécutif et l’automatisation du geste d’écriture, qui influenceraient en retour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
- À l’inverse, l’effet du traitement rythmique sur l’apprentissage de l’écrit est exclusivement sous-tendu par les fonctions exécutives. Nos résultats suggèrent que de meilleures capacités à traiter les stimuli rythmiques pourraient faciliter le développement du fonctionnement exécutif, lui-même impliqué dans la réussite scolaire. Par contre, les compétences phonologiques n’expliquent pas la relation entre habiletés rythmiques et langage écrit chez des élèves de CE2, contrairement à ce qui avait été montré chez les élèves plus jeunes (Ozernov-Palchik et al., 2018).
Question 2 : En accord avec des travaux antérieurs, les résultats de la deuxième étude montrent tout d’abord que les élèves présentant des difficultés en lecture et en orthographe sont moins précis pour se synchroniser sur un rythme régulier. Ces difficultés rythmiques ne sont toutefois pas systématiques :certains élèves en difficulté obtiennent des résultats similaires à ceux d’élèves sans difficulté du même âge. Aucune différence significative n’est retrouvée entre les deux groupes sur les tâches de motricité. Par ailleurs, la comparaison de différents sous-groupes réalisée dans un second temps indique qu’au sein de la population d’élèves en difficulté, la présence de plus faibles habiletés motrices et/ou rythmiques s’accompagne de plus faibles performances sur les tâches d’orthographe lexicale. Les résultats de cette étude suggèrent donc que les difficultés motrices et rythmiques pourraient entraver le développement des compétences en orthographe lexicale et majorer des difficultés préexistantes.
Question 3 : La troisième étude visait à évaluer les bénéfices de la pratique d’un jeu vidéo sur tablette entraînant les habiletés motrices sur le langage écrit. Les analyses révèlent que suite à l’entraînement, les élèves du groupe « entraîné » se sont significativement plus améliorés que les élèves du groupe « contrôle » sur les tâches de séquence motrice et d’orthographe de mots. L’ensemble de ces résultats soutient donc l’hypothèse d’un bénéfice d’un entraînement moteur basé sur la pratique d’un jeu vidéo. Cependant, le bénéfice de cet entraînement n’est retrouvé que sur certaines tâches de motricité fine (séquence motrice) et de langage écrit (orthographe de mots) mais pas sur les autres mesures motrices (tâches de coordination bimanuelle et dextérité unimanuelle) ou langagières (tâche de lecture de mots, dictée de phrases et compréhension écrite). D’autres travaux doivent être réalisés pour mieux comprendre ce résultat. Enfin, il est nécessaire de tester si ce type d’entraînement peut également être efficace chez des élèves présentant un trouble neurodéveloppemental comme une dyslexie et/ou un trouble développemental de la coordination.
Que dois-je retenir de cette étude pour ma pratique ?
- La motricité fine et les habiletés rythmiques sont en lien avec différentes dimensions du langage écrit (lecture de mots, orthographe de mots, compréhension écrite et rédaction de texte) en CE2 et CM1.
- Les effets des habiletés motrices et rythmiques sur l’apprentissage du langage écrit sont expliqués d’une part par l’automatisation du geste d’écriture et d’autre part, par les fonctions exécutives, qui sont impliquées dans la lecture et l’écriture, mais également, de façon plus générale dans la réussite scolaire.
- Chez les élèves en difficulté, une altération des compétences motrices et rythmiques s’accompagne d’une majoration des difficultés en orthographe lexicale. Ceci suggère qu’une prise en charge ciblant à la fois les habiletés langagières et non-langagières pourrait être utile à ces élèves.
- Un entraînement des habiletés motrices basé sur la pratique d’un jeu vidéo permet d’améliorer certaines compétences motrices et langagières (orthographe) chez les élèves de CM1. Cependant, d’autres études sont nécessaires pour confirmer les bénéfices de ce type d’intervention sur le langage écrit.
Références
Bhide, A., Power, A. et Goswami, U. (2013). A rhythmic musical intervention for poor readers: A comparison of efficacy with a letter-based intervention. Mind, Brain, and Education, 7(2), 113-123. https://doi.org/10.1111/mbe.12016
Cameron, C. E., Brock, L. L., Murrah, W. M., Bell, L. H., Worzalla, S. L., Grissmer, D. et Morrison, F. J. (2012). Fine motor skills and executive function both contribute to kindergarten achievement. Child Development, 83(4), 1229-1244. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.2012.01768.x
Jover, M., Ducrot, S., Huau, A., Bellocchi, S., Brun-Henin, F. et Mancini, J. (2013). Motor disorders indyslexic children: A review and perspectives. Enfance, (4), 323-347.
Ozernov-Palchik, O., Wolf, M. et Patel, A. D. (2018). Relationships between early literacy and nonlinguistic rhythmic processes in kindergarteners. Journal of Experimental Child Psychology, 167, 354-368. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2017.11.009
Suggate, S., Pufke, E. et Stoeger, H. (2016). The effect of fine and grapho-motor skill demands on preschoolers’ decoding skill. Journal of Experimental Child Psychology, 141, 34-48. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2015.07.012
Thomson, J. M., Leong, V. et Goswami, U. (2013). Auditory processing interventions and developmental dyslexia : A comparison of phonemic and rhythmic approaches. Reading and Writing, 26(2), 139-161. https://doi.org/10.1007/s11145-012-9359-6
Wolff, P. H. (2002). Timing precision and rhythm in developmental dyslexia. Reading and Writing, 15(1),179-206. https://doi.org/10.1023/A:10138807239255
Action/Projet associé(e)
Projet DysApp
Un jeu vidéo pour identifier et accompagner les élèves présentant des troubles moteurs et des troubles d’acquisition du langage écrit
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Ressource(s) associée(s)
Logiciel d’entraînement Brûme
Pratique de la motricité fine et du rythme au service de l'apprentissage du langage écrit
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